Sun attend sur le muret qui entoure sa bâtisse, les jambes dans le vide.

Muret. Oui, pour un garçon de sa taille, ce n’est qu’un muret : il lui suffit de prendre de l’élan, de s’appuyer contre le mur, de poser ses mains, pour s’hisser et s’installer. Du haut de son 1 mètre 92, il n’y a pas grand obstacle qui parvienne à le freiner. Depuis sa plus tendre enfance, Sun a toujours été un homme qui agissait avant de penser, qui agissait avant de parler. Car les actes expriment bien plus de choses, que les mots.

Les yeux levés vers le ciel, Sun est négligemment appuyé sur un bras. Le vent se glisse dans son épaisse crinière, agitant ses lourdes mèches brunes. Ses paupières mi-closes, sur ses yeux d’un brun fauve, un grand nez droit, des mâchoires carrées mais adoucies, un sourire serein sur les lèvres. Epaules solides, torse développé, les cuisses comme des troncs, un peu de ventre, ceinture abdominale qui trahit en réalité la puissance de son dos. Le jeune héritier salue de la main quelques gardes qui patrouillent, échange avec eux quelques paroles, jusqu’à ce qu’un rire franchisse ses lèvres.

Sun a toujours ri d’un rien. Heureux de peu, de tout ce qu’il a. Il ne s’est jamais plaint : car n’a jamais manqué de rien. Son père, bien qu’absent, était présent dans son esprit d’enfant. Il l’imaginait héros, homme bon, valeureux, généreux, proche du peuple, toujours souriant, infaillible, honorable, un modèle ! Mais depuis quelques mois, ce qu’il entend, souille ce tableau. Menteur, assassinats… La pensée l’effleure, mais Sun ferme les paupières. Il laisse le vent chasser au loin, ces préoccupations dont il ne sait que faire. Enfonce simplement sa main dans ses cheveux épais, les coiffe un peu en arrière, entrouvrant finalement les yeux pour observer le monde.

Il aime son Duché. Toutes les personnes qui y vivent, le climat, les maisons, les livres, l’odeur d’herbe portée par le vent, les rumeurs lointaines de la cité. Il savoure simplement l’instant, ça dure quelques secondes, avant qu’il ne finisse par marcher le long du mur, les bras étendus de part et d’autre de son corps, tenant son équilibre avec une certaine maîtrise. Un jeu d’enfant, qu’il continue à faire.

Bien qu’il ait 21 ans, Sun conserve cette innocence, le plaisir des jeux simples. Combien de fois ont-ils joué, avec Svea ?

Il n’a pas pensé à les compter. Mais à l’époque, il la prenait sous son aile. Le petit bien charnu qu’il était, courait déjà de part et d’autres des cours. Il était sage, bien élevé, mais incapable de tenir en place ! D’une endurance qui impressionnait déjà ses paires. Gourmand comme un chat, mais affectueux comme un chien, il se précipitait toujours vers Svea pour l’enlacer, prendre sa main et l’entraîner. Les années étaient passées. Ils avaient grandi. Ils avaient changé. Sun avait grandi, grandi, grandi et aussi, pris du poids et du muscle, de nouvelles responsabilités. Elles ont freiné son impulsivité. L’ont contraint à réfléchir davantage, à se montrer, moins impulsif.

Comment est Svea à présent ? Ils se sont croisés, mais n’ont plus pu passer de vrais moments ensemble depuis des années. Ses mains se posent sur ses hanches, lorsqu’il arrive en bout de chemin. Un soupir franchit ses lèvres, il fait demi-tour, sans prêter attention aux regards inquiets des archers et des serviteurs. Et si le jeune Seigneur tombait ? Inquiétudes justifiées ; car lorsqu’il voit Svea, un grand sourire éclaire les traits du jeune homme, il jaillit, ne se souvient que trop tard du vide…

Un pied n’a plus d’appui, le haut de son torse bascule vers l’avant, ses bras battent dans l’air, il se tend vers l’arrière, trop tard, il tombe. Sa main le retient un court instant au bord du muret, mais aussi fort soit-il, un seul bras ne peut pas supporter son poids… D’un grognement, il tombe séant contre terre, grimace en massant ses reins.

_ Aieuuuuh !

Un garde arrive en courant.

_ Seigneur, tout va bien ?!

L’homme lui offre son bras, Sun le saisit et manque presque de le faire tomber lorsqu’il se sert de lui comme appui… C’est presque Sun qui le remet sur pieds.

_ Ca va merci ! Je vais voir mon amie ! Prévenez papa, s’il vous demande, je suis sorti faire un tour !

Les premiers pas sont hésitants, à cause de la douleur qui lance son coccyx mais l’excitation l’emporte. Rapidement, Sun gagne de la vitesse. Lorsqu’il voit Svea s’approcher, sa joie s’échappe ! Cette fois, il court, arrivé à quelques mètres, veut freiner son allure, n’y parvient pas, il est trop lourd – ses bras se referment sur la taille de Svea, la soulèvent sur un mètre, deux, trois, le temps qu’il arrive à s’arrêter, avant de la reposer.

Ses mains s’abattent joyeusement sur les épaules de la commandante, un sourire radieux sur les lèvres.

_ Svea ! Je suis trop heureux de te voir ! Comment est-ce que tu vas ? Le voyage n’a pas été trop long ?!

Sun s'accroche bien plus facilement aux gens qu'il ne s'en détache.

La distance, les années, ou même les portes, ne suffisent pas à le tenir à distance. Car en quelques enjambées, voilà qu'il les a déjà traversés. Envahissant, pataud, maladroit, au moins personne ne peut médire sur la sincérité de ses sentiments. Svea ne l'a probablement jamais vu en colère ou déçu, car Sun, prend le monde comme il est - et c'est ainsi qu'il l'aime.

Bien que crédule, naïf voire stupide, Sun n'en reste pas moins un homme attentif, observateur et intuitif. Face à la souffrance de Svea, il n'avait pas pu rester impassible, faisant tout pour lui offrir son soutien, quitte à franchir les interdits. Pour l'enlacer, la consoler, ou encore, lui envoyer du courrier, combien même ses lettres n'avaient plus de réponse. Aussi, avait il bondi de joie à la réception de son courrier, en voyant que Svea avait accepté !

Il s'est fait beau, pour l'occasion, a même enfilé de longues boucles d'oreille d'or, un bracelet de cuir sur son poignet, un collier avec une simple médaille d'or, non pas pour vanter la richesse de sa famille, mais simplement car ça lui va bien au teint ! Malgré sa corpulence et ses manières un peu brutes, Sun veille à s'entretenir. Il coiffe toujours ses cheveux, aujourd'hui maintenus par un élégant cercle de bois gravé de fleurs, peint ici et là, d'un peu de peinture jaune, sa couleur préférée.

Sourire solaire, il rayonne face à elle.

Svea lui semble bien plus petite, dire qu'autrefois, il y a bien longtemps, elle était plus grande que lui ! Petit, il était déjà charnu et débordant d'énergie. Son amie… était bien différente. Plus sombre, plus renfermée, tenant à s'isoler. S'exiler, après que son monde se soit effondré. Sun aurait aimé faire plus. Il aurait voulu trouver les mots, lui offrir un soutien, pour tout ce qu'elle avait à traverser. Bien qu'à l'époque, il n'avait été peut-être qu'un chiot dans un jeu de quilles…

Svea avait changé. Elle avait trouvé sa voie. Elle était son propre appui. Où avait-elle trouvé la force, de se forger ? Sans l'amour d'un père, au travers des pressions de son rang d'héritière et celles de sa mère. Mais ne dit on pas que les plus belles lames, sont forgées au sein des forges les plus chaudes, sous l'assaut des plus durs marteaux ? Si ce proverbe n'existe pas, eh bien Sun va le créer !

Car il la sent solide, sous l'étreinte de ses bras puissants. Elle s'est développée, elle a gagné en force et en stature ! Il s'étonne de la sentir si légère et s'empresse de la reposer. Avant que la claque ne s'abatte sur sa mâchoire.

Sun cligne des paupières à 2 reprises, interdit. Sa mère et sa soeur ne l'ont jamais giflé, personne à dire vrai, n'a osé abattre sa main sur sa joue. Il n'a d'ailleurs pas eu mal ; ce qui l'étonne, c'est le bruit sec et sourd, ses prunelles se braquent sur la main de Svea puis sur Svea elle-même sans vraiment comprendre.

_ Ouille…

Combien même ne ressent il aucune douleur physique, c'est un pincement au coeur : quelques secondes, ses yeux se font suppliants, son sourire devient grimace alors qu'il joint les mains devant son torse, qu'il affaisse les épaules, dans un geste penaud.

_ Pardon, Svea ! Je suis désolé, j'aurais dû demander avant, je me suis un peu emporté, je ferai plus attention la prochaine fois !

S'excuse-t-il précipitamment. Comme toutes ces fois où il a fait tomber bibelots et autres décorations tout ça en traversant le couloir en courant, ou en bousculant un meuble qui a fait l'erreur d'être sur son chemin ! Il sait qu'il est très tactile, câlin, et que tout le monde n'est pas comme sa maman… Certaines personnes n'aiment pas les contacts, il doit en tenir compte.

Un rire gêné franchit ses lèvres à sa remarque… Par prudence, pour contenir son impatience, Sun préfère nouer ses mains dans son dos, les attache presque, se penche vers l'avant pour la dévisager avec curiosité, la dévorant du regard comme pour combler l'envie de l'enlacer. Sans se douter, que son attitude un peu enfantine, tranche avec son allure particulièrement solide.

_ Je ne te ferai pas de mal, pas volontairement en tous cas ! Bon je n'ai pas trop conscience de ma force mais ça va en s'arrangeant… Et tu t'es vue ?! Ouah tu as des bras tellement solides maintenant, tu dois être une bonne combattante !

Il complimente, les yeux brillants, tournant autour d'elle un instant pour l'admirer du regard. Avant de lui sourire avec tendresse.

_ La route s'est bien passée ? Est-ce que tu veux qu'on aille boire ou manger quelque chose ? Ca fait tellement plaisir de te voir… ! Comment tu vas, depuis la dernière fois ?

D'un geste du bras, il l'invite à marcher à ses côtés. Et naturellement, son pas se calque à son allure.

Depuis la dernière fois… Ca remonte à longtemps.

Et pourtant, dans la chaleur de sa voix, c'eut été comme s'il l'avait vue la veille.

La remarque malicieuse de Svea le fait éclater de rire.

Le souvenir des jeux passés dans les jardins, à affronter des monstres armés d'une épée de bois, à construire des cabanes à l'aide de quelques branches, confectionner des banquets faits de terre, de boue et de cailloux. Se croire adultes, jouer au Duc et à la Duchesses, à la direction d'une armée, sans savoir que la réalité viendrait les rattraper.

Mais Sun a préservé cette innocence.

Celle de se réjouir de l'instant, des petits moments, réussir à s'émerveiller, de ce que les autres apprennent à ignorer : la beauté du soleil, le chant de la pluie, d'un bon plat chaud et de jolis vêtements à enfiler. Peut-être a-t-il seulement conscience de ses chances, être bien portant, ne manquer de rien et plus que tout, être bien entouré.

Ces relations lui sont toutes précieuses et il veille à les entretenir, à ce que le temps et la distance, ne les fassent en rien faiblir. Il en faut beaucoup, pour réussir à vaincre l'affection et la confiance que Sun peut offrir, et à dire vrai, personne ne s'est encore vanté d'avoir blessé son coeur au moins aussi gros que ses poings.

D'un geste de la main, il invite Svea à le suivre. Puis glisse ses mains dans son dos et lui engage paisiblement le pas. Il la dévisage du coin des yeux, malicieux, avant de pencher doucement la tête sur le côté et murmurer, les yeux brillants.

_ Je peux compter sur toi pour me protéger ?

Il a oublié arme et escorte, et à dire vrai, n'est sincèrement pas inquiet : sur ses terres, il est persuadé qu'il ne risque rien. Bien que son père ait manqué d'être assassiné, que sa soeur ait failli se faire enlever… On l'accuserait peut-être d'être négligent, imprudent, d'être trop assuré.

En réalité, il a simplement confiance en ses capacités. Il sait qu'elle est devenue Commandante - et aussi, que celui prêt à le soulever pour l'enlever n'est pas prêt d'arriver.

Si sa famille a tendance à s'enfermer, le voilà qui s'éloigne des murs, les bras tranquillement glissés dans son dos. Il observe les rues, un sourire rêveur aux lèvres. Les enfants qui jouent avec un chien plus loin, la vieille femme qui arrose ses fleurs, un homme et sa demoiselle qui se tiennent la main… Le sourire de Sun se fait tendre, alors qu'il couve affectueusement ces personnes du regard. Ils sont son peuple. Ceux qu'il aime, et qu'il doit protéger. Ceux qu'il doit représenter.

_ Allons à une auberge… Prenons tout ce qui te fera plaisir ! Je te l'offre ! Je vais me prendre un bon cidre de pomme et peut-être une gourmandise !

Peut-être trois ou quatre à dire vrai, c'est qu'il mange, le bougre. Sun la mène jusqu'à une petite terrasse, à proximité d'une fontaine et s'installe sur le bord du muret qui la délimite. Il n'accorde pas toute sa confiance aux chaises qui lui paraissent toujours minuscules pour sa masse… Une serveuse s'empresse de venir à eux, les salue d'un sourire chaleureux, échange même quelques mots avec Sun avant de s'en aller d'un pas rapide.

Leurs collations leur sont apportées, et Sun prend l'une des 3 tartelettes aux pommes qu'il a commandées pour la dévorer en deux bouchées, puis avaler une gorgée de cidre jusqu'à lâcher un soupir soulagé. Il appuie son coude sur la table, puis repose sa tête contre son poing pour sourire à Svea.

_ Alors, comment tu vas, Svea ? Quoi de nouveau dans ta vie ? Si Madame ne prépare plus de soupes de terre et de menthe, j'imagine bien qu'une Commandante a bien de nouveaux exploits à me raconter ! Des dragons évincés ? Des tyrans renversés ? Des bandits chassés ? Dis moi tout !

Et elle sait probablement que la moindre petite chose qu'elle dira, sera sûrement vue comme un exploit.

Les années ont passé.

Comment était Svea, autrefois ? Avant, tout ça.

En réalité, Sun n’est pas sûr de se souvenir ; il la reconnaît, tout en la voyant, différente. Ce qu’elle a traversé, n’a pas pu la laisser sans séquelles. Les blessures, il les a effleurées par le passé. Quand Svea repoussait ses assauts, ses étreintes, quand elle s’est éloignée, quand elle s’est isolée. Sans réussir à réellement se débarrasser, de ce garçon un peu trop envahissant. De ce garçon, qui refusait de l’abandonner. Qui ne savait pas comment, l’aider, qui s’inquiétait, de ne pas avoir les mots, les gestes, de ne pas pouvoir davantage, la protéger. Elle n’était plus, cette petite fille innocente.

Le Monde l’avait mordue. A pleines dents.

Tranchant, une part d’elle. La laissant longtemps, brisée, incomplète, jusqu’à ce qu’elle parvienne à trouver sa propre voie. Jusqu’à ce qu’au fond d’elle, sa force renaisse. D’une armure, elle s’est vêtue. Peut-être, a-t-elle changé…

Mais lui, a toujours vu la guerrière au fond de ses veines.

Elle reste son amie, sa complice, une femme sensible avec qui il peut plaisanter et rire. Malgré les années et l’expérience, malgré la distance qui s’est instaurée, ce qu’il voit en elle est inchangé.

Près de la fontaine, Sun prend le temps d’humidifier régulièrement ses doigts. Bien qu’il maîtrise la terre, l’eau a toujours eu des vertus apaisantes… C’est la magie, de ses 2 parents. Du ruisseau qui court, dans lequel lui et Svea déposaient des bateaux en coques de noix, pour les poursuivre en riant. De cette fontaine où tous deux ont déjà lancé une pièce pour y faire un vœu – jusqu’à réaliser que de pauvres erres venaient récupérer leurs richesses. Sun, ce jour là, ne les avait pas chassés : il espérait seulement, que leurs vœux se réaliseraient.

Il a toujours eu conscience de sa chance, probablement car ses parents l’ont toujours appris à prendre soin de leur peuple avant toute autre chose – leur propre père, privilégiant la satisfaction et la sécurité de ces habitants à sa propre famille. Sun, n’est pas sûr de lui en vouloir. Tout est une question de choix. Le sien, aurait-il été différent ? … Il se serait probablement pris autrement.

Il écoute avec curiosité et enthousiasme le récit de Svea, repose un coude sur la table et appuie sereinement sa tête contre son poing. Le visage éclairé d’un sourire, sa main finit par reprendre son verre pour en boire une gorgée.

_ Un nouveau sens…

Répète songeusement Sun, baissant légèrement les yeux.

_ Je… Je comprends. C’est un nouveau départ.

Qu’il tente prudemment, avant de la dévisager.

_ Je ne la connais pas… Parle-moi d’elle !

Qu’il s’exclame en redressant la tête.

_ A quoi est-ce qu’elle ressemble ? Qu’est-ce qu’elle a pu t’apprendre ? C’est toi qui as choisi la branche de la Justice ou c’est un de vos supérieurs qui décident… ?

Il ne sait pas tant de choses au sujet de l’Ordre… Un sujet sur lequel son père est complètement fermé. Sun ne souhaite pas gâcher le peu d’échanges qu’il a avec son père au sujet de l’Ordre des Chevaliers, mais ce n’est que partie remise, il n’est pas le seul à pouvoir le renseigner !

_ Tu as pu t’y faire des ami.es là bas ? Ou peut-être retrouver d’autres visages connus ? Je sais que Michel Bollinger les a rejoins lui aussi !

Explique Sun, sans tellement y faire attention – Sun n’est pas prudent, sur les informations qu’il diffuse. Rumeurs, ragots, le dépassent et ne l’intéressent pas, lui n’y voit que l’occasion de discuter et d’échanger.

_ Un trafic d’enfants…

Son regard s’assombrit. Son poing, contre lequel il a reposé sa tête, se pose lentement sur la table. Pression des doigts, suffisante pour faire blanchir ses jointures. Mais sa force est plus maîtrisée qu’on ne pourrait le croire. La table se contente de grincer sans se renverser.

_ Rassure moi. Aucune de ces branches n’aboutissait sur notre Domaine ?

Qu’il demande.

Il est rare, de voir Sun en colère. Et peut-être, n’est-ce même jamais arrivé pour Svea.

Il n’y a pas d’explosion. Pas de cris. Pas de violence.

Il est d’un calme, absolu.

D’une détermination, implacable.

Puis son corps se relâche, son bras se replie, sa tête reprend son appui.

_ J’ai entendu parler de cette association de malfaiteurs… Les Manticores c’est ça ? Je crois avoir entendu le Duc de Walsh en parler… Le Conseil a mis en garde les différents Ducs sur leurs activités…

Qu’il songe, avant de se redresser avec une certaine impatience, les yeux brillants.

_ Une Wyverne ?! Elle est de quelle couleur ?! Comment tu l’as appelée ?!

Avec sa carrure, il n’est pas sûr de pouvoir en monter une un jour. Depuis quelques années, Sun n’ose plus tant monter sur de simples montures : c’est un vrai cheval de traits qu’on lui a finalement donné.

Les mauvaises langues accusent Sun, d’avoir la tête emplie d’air.

Qu’il suffit d’un battement de paupières, d’un soupire, d’une seconde, pour que ses pensées s’envolent. Ses émotions sombres ne sont jamais que passagères, quant à ses mots, ils défilent sans cesse, à vive allure, au rythme où son esprit s’élance, part en tous sens. D’où vient cette habitude ? De son enfance, où ses parents, n’avaient pas toujours le temps, où il prenait conscience qu’ils pouvaient disparaître à tout instant, le besoin de tout dire, avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’il n’en ait plus le temps. A moins que ce ne soit seulement dans sa nature, de faire du lien, dans ce chaos, si sa tête est d’air, lui est oiseau ! Porté par ses courants, voyant d’en haut, ce que les autres ignorent ; son instinct le guide, de sujet en sujet, à la suite d’une logique qui ne conduit que lui.

Sun se lit comme un livre fait d’images : ses mimiques trahissent ce qu’il ressent, ce qu’il pense, il le dit, et ce qu’il dit, il le fait, une sincérité et une spontanéité déconcertantes, dans la politique qu’ils ont l’habitude de côtoyer. Les plus expérimentés se réjouissent d’avance de la venue de ce freluquet, sur lequel ils comptent bien se faire les dents. Croyant, à tords, que Sun n’est pas en capacité de se défendre.

S’il ne s’encombre pas de mensonges, c’est qu’il n’en voit pas l’intérêt de s’encombrer l’esprit. Il n’a rien à cacher, pas de sujets sur lesquels mentir. Pour l’instant, le seul sang qu’il a fait verser, est celui de ceux qui ont enlevé sa sœur : et c’est à la force de ses poings, qu’il a rendu sa justice. Et si Sun accorde bien trop vite sa confiance, elle n’en reste pas moins capable d’être brisée. Jusqu’à présent, Svea n’a encore jamais rencontré de personnes capables de mettre en colère l’Héritier, personnes capables, de le trahir ou le tromper.

Sun écoute avec attention son amie, sans plus l’interrompre, bien qu’il prenne parfois le temps de grignoter ou boire une gorgée de son verre. Si son père rejette l’Ordre, Sun, lui, n’en est pas tant dérangé. Au contraire ! Un homme d’honneur comme lui ne peut que saluer ces valeurs chevaleresques et les actions valeureuses de ces Chevaliers. Et dire que Svea les a rejoints… Une part en lui en est surprise, peut-être le souvenir de la petite fille avec qui ils jouaient au bac à sable, Svea parfois dans sa robe de princesse, pendant que Sun allait se jeter dans la boue pour y affronter monstres et bandits. Mais une autre part, plus mature, comprend une telle décision. Et la respecte. Profondément.

Car Svea a réussi à se reconstruire. Après que son monde se soit écroulé, elle a réussi à se redresser, à trouver de nouveaux supports sur lesquels s’accrocher. Elle décide, de sa propre voie, sans courber l’échine face aux pressions de sa mère voire celle de la société. Elle est, et sera, Chevalière.

_ Oh… Je crois que je comprends…

Il affiche, malgré tout, une petite moue dubitative – légère grimace, non, en fait, il n’est pas sûr de saisir. Il faut dire que son travail de Duc, lui fait côtoyer d’autres héritiers avec lesquels il entretient bien souvent des rapports amicaux (Svea en est le parfait exemple). Que son serviteur, Saja, est son meilleur ami.

Pour autant, Sun fait l’effort d’interroger.

_ Pourquoi tu préfères séparer ça ?... Ca ne doit pas être simple, j’ai l’impression que c’est un travail à temps plein, tu dois aussi dormir auprès de tes collègues ou tu peux dormir chez toi… ? Côtoyer souvent les mêmes personnes, passer du temps avec elles, vivre des expériences intenses comme celles du combat, ça doit rapprocher non ? Je ne sais pas comment je ferai pour ne pas être proche de mes collègues dans ces conditions.

Qu’il avoue finalement, dans un sourire penaud. Son surnom, Chow-Chow, vient d’ailleurs de sa nature profondément sociale et chaleureuse : sa carrure lui donne l’assurance nécessaire pour aborder toutes personnes sans vraiment craindre qu’on ose le repousser, pas physiquement tout du moins. Il en devient parfois un peu envahissant, il faut dire qu’il peut prendre beaucoup de place.

_ Tu ne te sens pas trop seule… ? En tous cas, je trouve que la justice, ça te correspond bien ! Est-ce qu’on vous confie préférentiellement des tâches en lien avec ça, ou vous pouvez être appelés pour toutes sortes de mission ?

Il reprend, posant sa tête contre son poing.

_ Qu’est-ce que tu aimes dans sa manière de travailler ?

Quand le sujet revient sur cette association de malfrats, l’expression de Sun se fait plus sérieuse, plus sombre, entre ses doigts, il fait songeusement tourner la petite fourchette qu’on lui a donnée – et dont il ne s’est pas servi une fois pour manger sa pâtisserie.

_ Vous avez besoin d’aide ?!

Sun a relevé la tête. Serviable, comme toujours, il affiche un grand sourire.

_ Si je peux vous aider, n’hésitez pas ! J’imagine que toutes les personnes aptes à se battre en Babel, pourraient donner un coup de main à l’Ordre pour certaines missions. Je vais ouvrir bien grand mes oreilles ! Si j’entends parler de quelque chose, d’une magie étrange ou autre, je te préviendrai. De tels malfrats… n’ont pas à semer le mal sur nos terres.

Il est le Pilier. Le Lion, Adda.

Si l’un d’eux ose menacer son peuple, il s’abattra.

_ Hein ?! Avec toi ?! Tu m’as vu ?!

Sun éclate de rire.

_ Je plains ton pauvre Méthyslas, je risque de lui briser le dos… Déjà pour mon cheval, j’ai choisi un cheval de trait, je me trouve beaucoup trop lourd pour les chevaux de plus modeste carrure… Il est de quelle couleur, ton Wyverne ? Ca doit être incroyable de voler… De voir tout ça, depuis le ciel…

Qu’il rêve un peu, les yeux brillants à son tour.

_ Même si je ne monte pas avec toi, tu penseras à moi quand tu seras là-haut, ça fera tout comme ! Et puis je pourrais galoper sous toi ! Ou on pourrait monter sur les plus hauts sommets !

Des rêves, d’enfant, grandioses, incroyables, qui allègent l’esprit, le débarrassent de toutes ses contraintes – contraintes ?! Non, Sun n’en a pas. Il sait que tout est une question de choix : et il a la liberté, de faire les siens.

Une chance dont il a conscience.

_Pour le futur… ? Hm… J’ai pas mal de choses de prévues !

Affirme Sun, levant sa petite fourchette (bien minuscule dans son énorme main), pour l’agiter fièrement.

_ Déjà, je compte bien étudier le café et ses vertus. Voir ce qu’on pourrait en faire… Participer au concours d’invention : je vais y proposer l’imprime-livres. Cela permettrait de produire plus rapidement de nombreux parchemins. Je me dis, qu’on pourra s’en servir pour diffuser des recettes ou…

Un sourire malicieux éclaire ses traits.

_ Le portrait de certains criminels recherchés pour aider à vos recherches. Il est temps que notre Duché aille de l’avant ; les livres, c’est bien beau, mais ils croupissent dans la bibliothèque, j’aimerai faire un sondage dans notre peuple pour savoir qui sait lire, écrire, sur le total de notre population. Et peut-être envisager de diffuser des parchemins à tous grâce à mon invention ? Pour transmettre des informations, peut-être des mises en garde ou des demandes ?

Il prend une nouvelle bouchée de son gâteau, fait l’effort de l’avaler avant de reprendre.

_ Il faut que je convainque mes parents de me trouver une fiancée… Je suis prêt à prendre n’importe qui, je trouverai bien un moyen de l’aimer.. ? Je ne suis pas quelqu’un de très difficile. J’aimerai aussi commencer à revoir nos alliances commerciales, notamment avec l’Empire et le Royaume, nous ne sommes pas si éloignés, peut-être revoir les taxes… ? Hm… Les abaisser, pour favoriser le passage de leurs marchands itinérants et les échanges de ressources, tout en proposant en échange d’utiliser l’imprime-livres pour bénéficier à ces autres Duchés. L’Empire aimerait peut-être répertorier leurs recettes médicinales, par exemple… ?  

Il rabaisse finalement son bras, le reposant sur la table dans un petit soupir mêlant frustration et déception, jusqu’à offrir un sourire un peu gêné à Svea.

_Ah mon père est autant accroché à son titre qu’à la chaise de son bureau… Je ne veux pas le lui retirer, mais c’est sûr que j’aimerai qu’il me laisse un peu plus de liberté, qu’il me laisse un peu plus de responsabilités… Qu’il…

Sun détourne les yeux.

_Qu’il ait un peu plus confiance en moi.

Il se redresse légèrement.

_J’ai conscience de mes défauts mais je… ! J’ai envie d’être Duc ! J’ai envie de faire les choses bien ! Je veux assurer le bien-être de mon peuple, sa protection, et être actif dans le développement de nos richesses !

Ses épaules s’affaissent, il gonfle les joues dans une moue boudeuse.

_ Mais papa rechigne encore un peu…

Puis voilà qu’il reprend déjà vigueur.

_ Enfin, ce n’est pas grave ! Déjà, il m’a confié la gestion du café et si mon imprime-livres est accepté au concours d’invention, je pourrais l’utiliser par la suite ! Et toi alors ? Tes plans pour la suite ?