Les Chroniques d'Elysia

Chacun son chemin,
chacun son destin

La mercenaire se leva de bonne heure, comme c'était toujours le cas, en cette belle journée qui s'annonçait ensoleillée. Elle se prépara promptement pour affronter ce nouveau jour. Lorsqu'elle fut présentable, passant une dernière fois la main dans ses courts cheveux indigo foncé, elle sortit pour obtenir un thé et une brioche, lesquels étaient compris dans le prix de la chambre qu'elle louait. De retour à sa chambre, elle ouvrit une fenêtre et s'installa à la petite table ronde de la pièce. Elle dégusta lentement son petit-déjeuner, tout en profitant de la brise fraîche qui lui venait de dehors.

De sa brioche, elle ne laissa que des miettes. Par la suite, elle fit apparaitre une pièce de monnaie dans sa main. Pièce qu'elle lança dans les airs. Pile, elle profiterait de l'avant-midi, tranquillement, et irait flâner au marché. Face, elle irait chercher du travail. De temps à autre, elle aimait bien laisser le hasard choisir à sa place.

Elle rattrapa la pièce. Face.
Ainsi, après avoir ramassé ses possessions et avoir ajusté la sangle d'épaule de son arc, Amaryllis se mit en action. Elle ne tarda pas à se faire engager pour une petite mission bien simple: aller délivrer une missive dans le fief de Silva.

Il lui fallait donc faire la route entre le fief de Borgia et le fief de Silva. Amaryllis apporta un peu de vivre et d'eau dans son sac à dos, et prit alors la direction d'une écurie, aux abords de la ville. Elle achetait et revendait des cheveux, sans s'attacher ni vouloir s'encombrer d'une monture permanente. Pour tout dire, elle était encore à la recherche de la monture parfaite depuis que son dernier cheval l'avait déserté; longue histoire. Après une discussion avec le propriétaire de l'écurie pour conclure l'affaire, elle tomba nez à nez avec un autre mercenaire.

ENCORE LUI!?
Mais, décidément, leurs routes n'arrêtaient pas de se croiser! Le hasard faisait drôlement les choses... Après avoir cligné des yeux, de surprise, elle le salua sobrement, puis le renseigna sur la raison de sa présence en ces lieux.

«Je me rend au fief de Silva pour un contrat. Bien que pour être honnête, c'est davantage pour le chemin à parcourir que pour l'argent. Toi, quel bon vent t'amènes par ici?»

Ils s'étaient rencontrés il y a peu de temps. À leur première rencontre, la mercenaire chassait le sanglier quand cet idiot était sortit de nulle part... Elle avait bien faillit le transpercer d'une flèche et, en plus, il avait fait fuir le sanglier! Ils s'étaient croisés à 2-3 reprises par la suite, encore le hasard! Elle avait même pensé qu'il la suivait; une drôle d'histoire.

Un soleil timide se levait. Eclairant une chambre chichement décorée avec quelques meubles de mauvaises qualité. La lumière, encore ténue suffisait néanmoins à révéler la poussière de l'endroit qu'une nuit trop agitée avait soulevée.
Révélant deux corps blottis l'un contre l'autre, dans un chaos qui avait sans doute été plus improvisé que volontaire.
C'est à cause de cette petite luminosité que deux pupilles d'or s'ouvrirent. D'abord lentement, elles papillonnèrent, tachant de faire de le point sur le lieux.
Leur possesseur soupira en découvrant la minable chambre d'auberge dans laquelle il était, repoussant ses draps sur la demoiselle à ses côtés. Le chevalier errant observa la roturière assoupie à côté de lui.
Dans le lot des femmes de basse extraction, elle était dans la moyenne basse, plutôt charmante pour une fille de village, encore plus pour une fille de tavernier, mais clairement passable.
Haussant les épaules pour lui même, le noble récupéra une sceau d'eau dans un pièce adjacente pour se laver, avant de repasser ses vêtements. Accrochant son casque à sa ceinture, il se dirigea naturellement vers la porte, avant qu'une voie ne le fisse s'arrêter quelques instants.

-Oh Messire... J'espère que vous repasserez

Il resta un moment interdit, se retenant de rire.
Elle n'avait pas été si mauvaise que cela, mais clairement, il n'était pas prêt de remettre les pieds ici, son chemin le menait bien loin.

-On verra ce que le destin réserve

Fut tout ce qu'il trouva à dire avant de claquer la porte. Descendant les quelques marche grinçantes, il tomba nez à nez avec l'aubergiste. Ce dernier, aussi usé que son auberge se tenait aussi vouté que s'il portait une stère de bois sur les épaules, tachant d'essuyer un verre qui ne serait jamais propre, surtout au vu de la qualité de la bière qu'il servait.

-A mon bon sire, j'espère que vous avez bien dormis !
Vous auriez pas vu ma fille par hasard ?

Ah... Un père inquiet. C'était une petite nouveauté qui ne manqua pas de le renfrogner. Et alors que l'homme prenait une nouvelle respiration, s'apprêtant sans doute à lui expliquer que la demoiselle était plutôt frivole pour son âge, ce que le cendré pouvait sans doute confirmer.
Mais il préféra lever une main pour interrompre l'aubergiste.

-Non, je me suis contenté de dormir
Sur ce je vous laisse, merci pour la nuit.

Dit il avec un sourire en coin, ayant plus apprécié la compagnie que la chambre minable qu'il avait eu.
Cherchant dans sa bourse, il en dégota une petite pièce qu'il lança sur le comptoir avant de filer. La route reprenait, et il avait besoin d'un peu de travail, Le fief de Sylva semblait prometteur, et sans attendre, il se dirigea vers l'écurie du village.
Déjà, derrière lui, il entendait l'aubergiste de mettre à hurler, une voix féminine lui répondant dans la même gamme de volume. Un problème qu'il chassa d'un haussement d'épaule.
Ne possédant pas de monture, préférant les louer au fil de ses aventures pour s'éviter un boulet, il se contentait de chevaux de second rang, qui n'étaient bon qu'à aller d'un point A à un point B.. Un peu comme les filles d'aubergistes.
Mais alors qu'il choisissait sa monture, il reconnu une chevelure que le noble avait déjà croisé plusieurs fois.
Une roturière qu'il appréciait presque, une chose rare. Et si toute la nuance allait dans se presque, il se fendit quand même d'un sourire en la voyant, son nom revenant bien plus aisément que celui de la fille de l'aubergiste.

-Amaryllis, à croire que les dieux locaux aiment nous mettre sur le même chemin.

Dit il en la saluant de façon semi élaborée, ce qui équivalait à une semi marque de respect, qu'elle ne comprendrait surement pas.
Récupérant les rennes d'un cheval en bonne santé pour sa gamme de prix, il enfila son heaume, qu'il laissa ouvert par déférence envers la demoiselle.

-Je me rend au même endroit, mais plus pour l'argent que pour le chemin.
Et si j'aurai aimé te dire que le vent qui m'amène est sans doute ton parfum, la réalité est hélas plus bassement matérielle.
Mais comme nous somme visiblement parti pour aller au même endroit, que dirait tu de faire la route ensemble ? On est jamais trop de deux sur ces routes. Et puis, je ne dit pas non à voyager en charmante compagnie.

Chacun son chemin,
chacun son destin

Ce charmeur. Peut-être que les petites aubergistes aimaient ces paroles de miel, mais cela n’eut aucun effet auprès de la mercenaire. Personne n’avait jamais dit que la compagnie d’Amaryllis était charmante. C’était même difficile à croire, car elle était une femme distante, le regard en apparence naturellement froid, laconique. Certainement, Lautrec avait inventé ça; certainement, c’était une simple tournure de phrase, une question de politesse.

«Nous pouvons faire la route ensemble», répondit la femme, succincte.

C’était à nouveau un curieux hasard, que la route des deux mercenaires soient communes. Amaryllis n’était pas croyante, autrement elle aurait pu penser à une intervention divine. Elle n’allait pas rejeter la présence de l’homme, malgré sa préférence à voyager seule. Car Lautrec avait raison, c’était plus sécuritaire à deux, sur ces routes. Et puis, il y avait pire comme compagnie.

«C’est pour l’argent que tu t’y rends, mais tu découvriras peut-être un jour que le chemin compte parfois plus que la destination.»

La mercenaire installa son sac à dos sur le cheval, le sécurisant d’une sangle. Elle monta ensuite sur le cheval, telle une cavalière émérite. Elle avait effectivement une grande habileté équestre, c’était nécessaire lorsque l’on souhaitait tirer à l’arc à dos de cheval.

«Si tu es prêt, mettons nous en route.»

Lorsque l’homme fut prêt, ils démarrèrent leur petite expédition. Il leur faudrait plusieurs heures pour arriver à destination ; une journée ou deux.

«Raconte moi, qu’as-tu fais de bon depuis la dernière fois?»

La dernière fois remontait à un peu plus d’une semaine. À ce moment, il lui avait dit avoir découvert qu’elle était porteuse d’un emblème, et il lui avait dévoilé que lui-aussi. Cette révélation avait un peu secoué la mercenaire, car Lautrec était le premier porteur d’emblème qu’elle rencontrait, à sa connaissance. Et elle avait également réalisé qu’elle devait être davantage prudente en utilisant ses capacités ; un œil avisé pouvait effectivement contempler la mercenaire à son insu.

Au moins, le noble ne voyagerais pas seul. Mieux encore, ce serait avec la plus jolie roturière qu'il connaissait.
Certes, il lui manquait un peu de sang bleu pour être vraiment quelqu'un de confiance, mais étant donné sa situation, c'était sans doute mieux que rien. Et puis... en tant que porteuse d'emblème, elle avait un lien avec lui.. sang bleu ou pas...

-Parfait, les paysages sont mornes sans pièce centrale à tout cela.

Dit il avec un sourire avant de grimper sur son cheval d'emprunt. Il s'y calla à la manière d'un chevalier, ses pieds passés dans les étriers de façon ferme, comme s'il craignait de se faire désarçonner. Et s'il n'était pas prêt à refaire des joutes pendant quelques temps, la faute aux chevaux qui n'étaient absolument pas entrainés à cela, les vieilles habitudes demeuraient.
Gardant son casque à la ceinture, profitant du vent frai qui soufflait encore, balayant les plaines en faisant danser les herbes et les blés/
La réflexion d'Ama ne manqua pas de l'interloquer, le voyage plus important que la destination ? Un léger rire s'échappa d'entre ses lèvres alors qu'il se portait à son niveau.

-Si c'est le chemin qui compte, alors j'imagine que l'objectif chevauche avec moi.

Après un léger clin d'oeil à la demoiselle, alors qu'il dirigeait sa monture à côté d'elle débutant ainsi leur périple.
Voyager avec la jeune femme n'avait rien de déplaisant, mais était plutôt inhabituel. A vrai dire, son petit côté mystérieux lui donnait la furieuse envie de tout savoir d'elle. Même si pour cela, il faudrait user d'un trésor de patience. Chose dont il était plutôt dépourvue.

-Depuis la dernière fois ?
Voyons... j'ai aidé à retrouver deux filles enlevées par des bandits, aidé le forgeron du village à récupérer son stock de matériaux...
Rien de très chevaleresque, ni héroïque, mais au moins... ça m'a permis de gagner de quoi vivre et entretenir mon matériel.
La vie de héro, ce n'est pas aussi glorieux qu'on pourrait le penser.

Clairement, ce n'était pas le genre d'exploit qui attiraient l'attention de l'ordre des chevaliers, surtout si on considérait que les deux filles en questions avaient finies... enfin, c'était une autre histoire.
Alors que la monture avançait tranquillement, le noble se laissa aller, se penchant pour s'appuyer sur l'avant de sa selle, posant son menton dans sa main.

-Et toi alors ? Roturière ou pas, tu es dans la même situation que moi si j'ai bien suivi, j'imagine que ton côté mystérieux et ta tenue légère te destine à des aventures plus... nocturnes ?

Elle avait cet accoutrement qui l'aurait condamnée à mourir de froid de là ou il venait. Même si... il ne souhaitait à personne d'aller voir ce pays coupé du monde. Mieux valait laisser le froid du nord ou il était.
Finalement, après quelques instants, il reprit.

-D'ailleurs tu ne m'a toujours pas dit d'où tu venais

Chacun son chemin,
chacun son destin

Amaryllis ignora les paroles de l’homme et ne réagit pas au clin d’œil qu’il lui adressa. En quoi est-ce que l’objectif de Lautrec chevauchait à ses côtés? En quoi la mercenaire était-elle un objectif? Ce noble avait de drôle de façon de s’exprimer. À la place, elle l’interrogea sur ces activités depuis leur dernière rencontre. Il était intéressant de découvrir que Lautrec avait l’impression de vivre une vie de héro. Ce n’était pas l’impression qu’avait Amaryllis de sa propre vie. Certes, en acceptant certains contrats, la mercenaire venait en aide aux gens; mais l’attrait principale n’était-il pas l’argent? Et si la mercenaire était courageuse, ses exploits n’étaient en rien remarquables.

On pouvait peut-être dire qu’Amaryllis était davantage humble que Lautrec; mais ce dernier était noble, alors cela n’avait rien d’étonnant.

Après lui avoir répondu, l’homme lui retourna sa question, mais y ajouta un commentaire sur sa tenue légère qui, selon lui, la destinait à des aventures plus nocturnes. Carrément, sans détour. Alors que la tenue de la mercenaire était très bien, légère mais sans plus.

«Comment je passe mes nuits ne te regarde pas», lui répondit-elle d’un ton sec.

Amaryllis avait certes, par le passé, quand elle était plus jeune, déjà accepté des contrats consistant à tenir compagnie ; mais par "tenir compagnie" il ne fallait pas comprendre "offrir son corps". Elle acceptait bien sûr des contrats d’infiltration, ce qu’on pourrait également, d’une certaine façon, qualifiés d’aventures nocturnes; avec son emblème elle était d’ailleurs plutôt douée à ça.

Quoi qu’ai voulu sous-entendre Lautrec, au moins Amaryllis avait mis les choses au clair. Elle répondit ensuite à la question initiale qui lui avait été posée.

«J’ai aidé une femme à retrouver son chat perdu ; une sale bête sauvage. Et j’ai donné un cours de maniement d’arc. D’ailleurs, l’élève était un danger public, j’ai conseillé aux parents de lui apprendre un autre type d’arme.» Ce faisant, elle avait peut-être sauvé des vies innocentes.

Lautrec se montra alors curieux à son égard.

«D’où je viens? Ça c’est un mystère ; si jamais tu le découvres, fais moi signe. Mais si tu veux savoir où j’ai grandi ; ici même, à Babel.»

Elle avait pendant un court temps voulu connaître ses origines, souhaité savoir si ses parents l’avaient abandonnée, s’ils étaient soudainement morts... mais quand on essaie de survivre dans la rue, ce genre de détail devient rapidement sans importance.

Et tant qu’à faire, Amaryllis interrogea l’homme à son tour.

«D’ailleurs, tu ne m’as pas dit pourquoi tu avais quitté North Odin? Le froid? Tu ne t’entendais pas avec les autres nobles?»

Visiblement, la demoiselle n'était pas encore prête à lui parler de ses missions nocturnes. Le chevalier l'imaginait bien prendre des contrats consistant à espionner des gens. Mais sa réaction lui fit dire qu'elle n'avait pas compris cela.
Cette simple réalisation manqua de faire sourire le noble qui préféra garder son sérieux. Il n'allait quand même pas s'excuser d'une chose face à laquelle il ne pouvait rien ? C'était lui le noble après tout.

-Je vois, garde tes secrets nocturnes alors.

Dit il d'un ton tout aussi sec, bien qu'il ne recelait rien d'autre. Il ne faisait que s'adapter à son compagnon de route. Mais visiblement, niveau travail, elle n'avait pas trouvé mieux que lui. Entre chercher des gens, des animaux, ou enseigner à d'autre... Le métier d'aventurier se résumait bien souvent à de petits travaux que n'importe qui pouvait effectuer, mais dont personne ne faisait attention.
Elle était bien loin, la soif d'aventure épique décrite dans les livres. Ce simple petit résumé suffit à lui faire pousser un petit soupir.

-Il est certains que si tu l'as dit avec ta délicatesse habituelle, tu sera surement rembauchée plus tard.
Les gens adorent entendre qu'ils sont des incapables finis.

Et le résumé s'arrêta là, Amaryllis étant à peu près aussi loquace sur son passé, que sur ses missions.
Mais en lisant entre les lignes, le cendré comprit qu'elle ne savait tout simplement pas qui étaient ses parents, ni même sa véritable origine...
Une vraie roturière ! Mais qui avait au moins esquivée les problèmes inhérent à la famille. Il l'enviait presque sur ce point.

-Promis, si je tombe sur d'obscurs documents en fouillant un château, d'déclarant qu'une belle filles aux cheveux violet est la seule héritière d'un illustre Duc, je me ferais un plaisir de te l'annoncer immédiatement.
Qui sait, peut être même que tu aura le droit à un bouquet de fleur pour l'occasion.

Ce serait une ascension comme peu en connaissaient, et les ducs avaient tous leurs lot de batârd trainant dans un coin ou un autre du royaume, et le fait que Lautrec ne connaissent pas ceux de son père l'étonnait également.
A croire que même cela, son père parvenait à le rater.
Mais quand elle appliqua la même question au noble, ce dernier se raidit légèrement sur sa selle. Il appréciait peut être la demoiselle, mais il était hors de question de lui parler de ce qui l'avait poussé ici. Il avait sa propre fierté.

-On peut dire que je ne m'entendais pas avec les nobles oui.
Affaires de noblesse que veux tu, les maisons ont toujours tendance à être en perpétuelle rivalité. Et sortir de ce jeu, c'était reposant.

Mentit il sans vergogne.
Sa famille était bien trop haute dans la hiérarchie pour s'encombrer avec tout cela. A vrai dire, la famille Seland était au delà des considérations politiques et financières. Mais cela, le cendré n'avait aucune raisons de le dire.
Il était présentement juste l'image éculée d'un noble parti à l'aventure, ce qui lui convenait très bien.

-Mais effectivement, on vit mieux ici qu'à North Odin.
Notre périple de quelques jours en aurait prit le double, et il aurait fallu se couvrir un peu plus chaudement que maintenant, mais j'imagine que ce n'est pas le genre de pays qui t'intéresse.

Conclu t'il alors que le village s'éloignait déjà, et qu'une petite forêt apparaissait à l'horizon, promettant un peu d'ombrage et de fraicheur au duo

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chacun son destin

«Incapable fini? Non, ce ne sont pas les mots que j’ai utilisé… Mais je suppose que ça revient au même oui.»

Si la famille ne désirait pas l’embaucher à l’avenir, tant pis. Elle avait énoncé une vérité sans détour; oui, avec sa délicatesse habituelle. Certaines personnes aimaient que l’on soit direct avec eux. D’autres appréciaient moins et préféraient décorer la vérité. Au final, chacun était libre d’engager qui il désirait.

Si Lautrec trouvait des documents prouvant sa provenance, il s’engageait à le lui annoncer immédiatement. La seule héritière d’un illustre Duc, la bonne blague, comme si une chose pareille pouvait arriver. Un léger sourire apparut au coin des lèvres de la mercenaire.

«C’est gentil, soit certain que je ne manquerai pas de te récompenser.»

Elle ne précisa pas la manière dont elle le récompenserait, car elle doutait fortement que ce moment n’arrive un jour. Pourquoi pas une bonne bière fraîche? Une belle récompense que voilà. Deux bières et un repas même, pourquoi pas.

«Tu t’offres donc de petites vacances», résuma-t-elle lorsqu’il mentionna qu’il ne s’entendait pas avec les nobles et qu’il avait souhaité sortir d’un jeu de rivalité. Elle n’était pas trop aux faits des histoires de nobles, et cela ne l’intéressait pas du tout, mais il paraissait que certains nobles ressentaient le besoin de changer de vie quelques temps, avant de retourner à leurs responsabilités.

«J’y ai déjà mis les pieds. Ce n’est pas vraiment le pays de mes rêves», dit-elle en parlant de North Odin, le lieu d’origine de Lautrec. «Promis, je penserai à toi si j’ai besoin d’un guide là-bas.»

Ils arrivèrent à l’orée d’une petite forêt. Amaryllis se redressa sur sa scelle, attentive. Si des bandits souhaitaient pourrir leur journée, ce chemin au milieu des arbres était un bel endroit pour le faire. La mercenaire tomba silencieuse; oui, elle n'était déjà pas bien loquace à la base.

Le récompenser ? Elle ne précisait pas vraiment comment, mais... il avait peut être une idée à ce sujet. Enfin... tout cela n'était que pure spéculation, car si la demoiselle avait le potentielle d'une noble, il lui manquait tout le reste.
Y comprit cette façon de parler si particulière. Car si elle maitrisait déjà le ton sec, il lui manquait encore cette pointe de suffisance si caractéristique de ceux qui étaient bien nés.
Une chose qui ne s'apprenait hélas pas.

-Et bien, on verra quand je t'annoncerai ça, et que tu sera enfin quelqu'un du même rang que moi.
Tu verra, ça parait beaucoup au début, mais on s'y fait.

Se considérait il au dessus du reste du monde ? C'était une évidence, mais c'était d'avantage car il était fils de Duc, plutôt que noble. Car bien des nobles étaient à peu près aussi rustre que les paysans des régions les plus reculées.
Non, l'éducation primait, même si la mention "noble" était tout de même un plus.
Et quand elle mentionna des vacances, il laissa échapper un rire amer.

-C'est ça, des vacances, à durée indéterminée, avec option "pas de retour".
Enfin, on ne sait jamais vraiment ou nous porte le vent n'est ce pas ?
Pour l'instant je suis heureux d'être ici, avec toi, au milieu de nulle part.

Conclu t'il en pénétrant sous la frondaison.
Par réflexe, il enfila son casque, en fermant la visière métallique qui claqua sèchement. On n'était jamais trop prudent, et les bandits étaient bien trop idiots pour se laisser intimider par deux mercenaires.

-Alors... si je t'accompagne la bas, c'est que je tiens à toi plus que je ne le penses.
Inutile de dire que pour le moment, on va éviter North Odin, sans rancune hein ?

Retourner la bas, c'était prendre le risque d'aller dans le mauvais duché. Et s'il était ici inconnu, on ne pouvait pas en dire autant de sa région natale. Les Selands étaient connu, et reconnu bien trop facilement, même avec une armure sur le dos.
Mais avant qu'il ne puisse continuer, une flèche siffla, sa pointe en acier raclant la plate pectorale du noble, dans un raclement désagréable, mais inoffensif. Le projectile partit dans la frondaison, dévier par l'épais métal.

-Evidement... Quelle meilleure idée que de tirer sur la seule personne protégée contre les flèches.

Grommela le cendré en faisant s'arrêter son cheval, mettant pied à terre avant de tirer son épée. Mais le message était clair, ils voulaient Amaryllis vivante. Un bon point, c'était qu'ils voyaient au moins le noble comme une menace.

-Des amis à toi ? Ou bien des anciens élèves mécontent ?

Dit il alors qu'un petit groupe, qui ressemblait au mieux à des paysans qui se donnaient l'air de bandit sortirent des buissons, brandissant des haches, des couperet et des fourches en mauvais état.
Même pour des bandits, ils étaient pitoyables.

Chacun son chemin, chacun son destin
feat Lautrec S. Seland

Lautrec se pensait au-dessus du monde. N’ayant aucun titre de noblesse, Amaryllis n’était évidemment pas du même rang que son compagnon de route, et ce même s’ils chevauchaient présentement côte à côte. Hm. Heureusement que l’Homme du Nord désirait faire la conversation, autrement la mercenaire serait condamnée à regarder son dos tout le long du voyage. Car ce devait être ainsi, présumait la femme : les nobles ouvraient la marche et les roturiers avançaient dans leur ombre.

Titre de noblesse ou non, Lautrec était heureux d’être ici en compagnie d’Amaryllis. La mercenaire se foutait des formules de politesse, alors elle garda le silence. Elle lui aurait bien retourné le commentaire, mais elle ne savait pas vraiment si elle était heureuse d’être ici en sa compagnie. Seul le temps le dirait. Alors, en attendant, autant ne rien dire. De toute façon, la mercenaire préférait rester concentrée sur son environnement, car elle se méfiait d'une embuscade.

Ils pénétrèrent sous la frondaison, et des hommes décidèrent bel et bien de venir pourrir cette agréable balade en forêt.

Des amis d’Amaryllis ou d’anciens élèves mécontents? Pff. La bonne blague... Elle n'avait pas encore réalisé que l'homme avait le sens de l'humour.

La mercenaire descendit prestement de son cheval. Elle ne connaissait pas l’animal et ignorait comment il pouvait réagir en situation de combat. Le marchand lui avait assuré que c'était un cheval placide, mais elle ne s'y fiait pas du tout. Tous des menteurs.

Des roturiers sortirent de leurs cachettes. Qu’avait donc à craindre un noble? Rien, supposait la mercenaire. D'autant plus que Lautrec avait une sacré armure intégrale. De son côté, Amaryllis portait, à titre de protection, une ceinture corset en cuir, des épaulettes, des protèges avant-bras et protège-tibia. La différence entre les deux mercenaires était notable ; clairement, la femme préférait la mobilité à la protection… l’homme n’étouffait-il pas dans son armure? Il faudrait que la mercenaire le lui demande.

Le groupe d'hommes s’élança vers eux.

Amaryllis bougea une main devant elle et une barrière de feu s’éleva, faisant s’arrêter les brigands d’un coup sec. Une barrière de feu... ou plutôt, une parfaite illusion.

Du temps gagné.
De nombreuses secondes.
Juste le temps qu’il fallait à Amaryllis pour encocher et décocher une première flèche, laquelle se planta dans le cou d’un des agresseurs. Juste le temps pour encocher et décocher une seconde flèche, avec une rapidité meurtrière, laquelle flèche… se planta dans un arbre, lorsque le cheval de la mercenaire la bouscula en s'affolant.

Quel idiot ce canasson! Amaryllis avait besoin d'une véritable monture, digne de ce nom. Un problème qu'il lui faudrait résoudre sans tarder une fois arrivée dans le fief Silva.

Au même moment, l’un des bandits décida de prouver sa bravoure, ou plutôt sa grande folie, en traversant la barrière de feu. Il s’élança en poussant un cri de guerre, peu soucieux de sa vie, armé de sa fourche en mauvais état. Aussitôt qu’il entra en contact avec l’illusion, cette dernière disparue.

Ce devint alors un combat rapproché.

Les bandits qui se présentaient face à eux n'avaient rien d'impressionnant. Une bande de paysans un peu trop jeune pour connaitre le combat, et dont l'équipement sommaire confinait d'avantage à de l'outillage agricole en mauvais état plutôt qu'à de vrais armes.
Les fourches étaient encore tachées de crottin, et le couperet de boucher était perclus de rouille. Si c'était là la seule épreuve qu'on lui envoyait, il ne risquait pas de surpasser son père.
Deux flèches partirent de derrière lui, la première faisant mouche en plein centre alors que la deuxième partait dans le décors, déclenchant un sifflement d'agacement. Lautrec avait démonté au premier signe de danger, n'ayant pas confiance dans les chevaux de locations pour le combat, et avait accroché les rennes à un arbre proche.
Inutile de s'encombrer d'une monture qui prenait peur au combat.

Faisant rouler ses épaules, il ferma son casque, en verrouillant la visière. Son champ de vision se réduisait avec cette dernière, mais elle lui avait sauvée la vie plus de fois qu'il ne pouvait compter.
Le mur de feu illusoire se dressa devant eux, prenant de stupeur les quelques bandits.
Mais il fallut peu de temps pour qu'un idiot ne tente de passer au travers, sa fourche en avant.

La fourche rencontra l'acier du nord.
L'arme mal entretenue glissa sur la lame qui la dévia au loin, dans un mouvement fluide, qui donnait presque l'impression que le chevalier ne voyait pas la l'attaque comme quelque chose de dangereux.
Sans effet, l'attaque parti dans le vide, alors que Lautrec tranchait la gorge exposée de l'assaillant, le décapitant proprement. Le corps sans tête continua quelques mètre avant de s'effondrer, comme s'il peinait à comprendre qu'il était vraiment mort.
Ce n'était pas un défi, surtout quand on avait sur le dos une armure intégrale, et que le plus grave dommage que puisse faire une fourche était de faire éraflure.
Mais ça n'empêchait pas les roturiers d'essayer, une fois la barrière de feu disparue, ils semblèrent avoir un regain de combativité et se jetèrent sur le duo d'aventurier.

Le noble ne leur laissa cela dit pas le temps de prendre le moindre élan. Chargeant épaule en avant, il en stoppa un tout net, sentant ses os craquer alors que la lourde plate fracassais son sternum.
Un second reçu un coup d'épée sur la main, qui la trancha net. Le couperet tomba au sol avant que son porteur ne se mette à hurler.
Ayant traité la menace la plus importante, Lautrec se focalisa sur le reste de la bande, ayant soudainement perdu tout sens de l'humour, son heaume baissé ne laissant voir que ses deux pupilles d'or au travers de la mince fente de vision de son casque.
Les deux pieds campés au sol, il se décala légèrement pour faire ricocher une flèche sur son épaulière.

Comme pour provoquer les bandits, le chevalier fit claquer son épée contre son bouclier, espérant attirer leur attention, et permettre à sa coéquipière d'aligner quelques tirs précis.
Au vu des tentatives précédentes, la chose n'était pas bien difficile. Et maintenant que le cheval était agité, mais éloigné elle n'avait plus de raisons de manquer.

Chacun son chemin, chacun son destin
feat Lautrec S. Seland

Ils lui faisaient presque pitié, ces brigands sans entraînement. Ils se jetaient dans l'assaut comme si leurs vies n'avaient aucune valeur. Comme si... aucune autre option n'était envisageable. Comme par désespoir. Et c'est pour cette raison qu'elle s'immobilisa brièvement pour observer la scène. Ah, contre Lautrec, ils n'avaient réellement aucune chance ; sa lame tranchait avec précision, son armure était solide comme le roc. Amaryllis avait presque pitié oui ; presque. Parce que, au final, les brigands avaient pris eux-même cette mauvaise décision de les attaquer. Et on vivait tous avec les conséquences de nos choix.

Le cheval de la mercenaire, apeuré, avait mit de la distance entre lui et le combat. Cela faisait une chose de moins à gérer. Amaryllis se rappelait son premier cheval, qu'elle avait eu à ses côtés quelques années ; face au danger, ce dernier s'était toujours tenu de marbre. C'était un cheval pareil qu'il lui fallait ; avec en plus la loyauté.

La mercenaire encocha et décocha une série de flèches. Sans problème, elle abattit l'archer adverse, lequel aurait dû porter son attention sur elle, plutôt que sur le chevalier en armure. Si les brigands avaient sous-estimé Amaryllis, c'était une erreur supplémentaire de leur part.

Rapidement, combinant leurs attaques, les deux mercenaires éliminèrent les dernières menaces. Le silence retomba - si on oubliait les chevaux qui piétinaient nerveusement le sol. Amaryllis abaissa son arc. Son regard passa sur les corps et s'arrêta sur Lautrec. Aucun besoin de lui demander s'il allait bien, manifestement rien ne l'avait atteint. Et comme l'homme avait en quelque sorte servit de barrage avec son corps, Amaryllis également était indemne.

Elle aurait bien proposé de faire les poches des brigands, mais quelque chose lui disait qu'il n'y avait rien à récupérer. Elle allongea le pas vers sa monture, qu'elle réussit à calmer en lui communiquant son propre calme. Puis elle accrocha les rênes du cheval à la branche d'un arbre.

Elle se tourna ensuite pour faire face au noble. ─ On disait quoi déjà? North Odin? Aucun problème, chacun va où ses pas le guide. Je comprend que les tiens te guident loin de là. D'un mouvement de la tête, elle désigna les bandits. ─ Les leurs... les ont guidés au mauvais endroit. Amaryllis revint sur ses pas. Il y avait quelques personnes en ce monde qui auraient prié pour le repos de leur âme ; pas la mercenaire. Elle récupéra plutôt les flèches qui étaient encore en bon état.

Les derniers brigands tombèrent, raide mort, une flèche en travers de la gorge pour les plus chanceux. Mais le noble ne s'attarda pas plus longuement sur leur sort. Comme l'avait pensée la demoiselle, ils n'avaient rien de valeur. Même les loques qui constituaient leur vêtement n'ayant aucune valeur pour un chiffonnier. Quant aux armes ? Et bien elles méritaient un repos éternel, oubliées ici.
Pas de quoi gagner la moindre pièce... C'était donc un effort inutile, qui avait en plus salit sa lame. Essuyant cette dernière sur les habits des morts, le chevalier remonta sur sa monture, laissant volontiers la tache ingrate de s'occuper des cadavres au premier charognard venu.
Rouvrant son heaume, il suivit le regard de son amie, faisant au mieux pour avoir un air semi amusé.

-Et bien, disons que c'était la mauvaise route pour eux.
Mais ils auraient au moins pu garder leur bourse sur eux, ça n'aurait pas rendu cette dépense d'énergie totalement inutile.
Au moins, nous savons que les chevaux ne sont pas fait pour le combat.

Reprenant leur route sous la frondaison, ils continuèrent longuement, dans un silence de plomb, aucun des deux n'ayant assez confiance en l'autre pour aborder le moindre sujet. La simple évocation de North Odin suffisant à réduire à néant sa bonne humeur passagère.
Pire encore, cela avait le don de lui évoquer de bien trop mauvais souvenirs, qu'il avait très justement fuis.
Et alors que la journée avançait, le soleil déclinait à égale mesure, jusqu'à n'être qu'un point rosâtre visible au dessus de la canopée des arbres.

-Le voyage me semble déconseillé de nuit, on ferait mieux de trouver un abris
J'imagine qu'il doit bien y avoir des abris pour les voyageurs dans le coin, peut être une cabane de forestier ?

Du moins, c'était le cas à North Odin, chaque route dangereuse ayant un moyen ou un autre de s'abriter des éléments. Restait à trouver un tel endroit ici.
Tournant la tête vers la demoiselle, qui devait mieux connaitre la région que lui, il pencha lentement la tête sur le côté.

-Une idée peut être ? Je dois dire que passer la nuit perché en haut d'un arbre ne m'enchante guère.

Cela et s'il pouvait trouver un lit, aussi rudimentaire soit il, ce serait bien mieux que l'inconfort d'une nuit à la belle étoile. Surtout en cette saison ou la rosée matinale avait tendance à tremper absolument tout ce qui pouvait se trouver au sol, y compris les sacs.
L'endroit n'était pas totalement sauvage, en témoignait la route tracée entre les arbres... Avec un peu de chance, qu'ils n'avaient pas eu aujourd'hui, ils trouveraient

Chacun son chemin, chacun son destin
feat Lautrec S. Seland

La mercenaire ne répondit pas au commentaire du noble ; elle n'en voyait pas l'intérêt. Il n'y avait rien d'amusant dans la mort de leurs assaillants ; mais il n'y avait pas davantage de chagrin, ni d'accablement dans le cœur de la mercenaire. Il était probable que les brigands n'aient pas gardé leur bourse sur eux, car peut-être n'avaient-ils tout simplement pas d'argent. Mais oui, Lautrec avait raison : au moins, ils avaient découverts que les chevaux n'étaient pas adaptés au combat. Des gens étaient morts sur cette route ; quant aux mercenaires, ils avaient fait une découverte sur leur monture. Chacun passait une journée différente.

Après avoir récupéré et nettoyé certaines flèches, Amaryllis remonta sur sa monture et ils reprirent la route en silence. Ce n'était pas pour déplaire à la femme, laquelle profita tranquillement du chemin, du vent glissant dans ses courts cheveux, du soleil sur sa peau à leur sortie du boisé jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un point lointain, et des petits plaisirs divers d'une balade. Il n'est pas toujours nécessaire de parler pour prendre plaisir dans la compagnie des autres. Le silence a son propre charme. Et puis, de toute façon, de quoi auraient-ils pu parler? Ils se connaissaient peu ; ils en étaient encore à l'étape de se jauger mutuellement.

Un court sourire se dessina sur ses lèvres, lorsqu'elle imagina Lautrec perché en haut d'un arbre ; un chevalier en armure, en position précaire sur une pauvre branche. On demandait à voir ça. Un autre jour peut-être.

─ J'ignorais que tu étais doué pour l'escalade? Il y a bien un endroit pas très loin. Nous devrions y être bientôt.

Ils arrivèrent effectivement, près de deux kilomètres de route plus loin, à une cabane rustique. Cependant, ils n'étaient pas les seuls et les lits étaient limités. Amaryllis ne souhaita pas argumenter avec les premiers occupants de cet abri et elle orienta alors ses pas vers l'appentis. Libre à Lautrec de chasser les hommes déjà présents dans la cabane s'il le désirait, ou de faire valoir son statut de noble pour s'octroyer un lit au confort et à la propreté discutables. Amaryllis s'occupa de son cheval qu'elle abrita dans l'une des stalles, et s'installa plus loin sur un amas de foin sec.

La silhouette de Lautrec se manifesta ; peut-être venait-il s'installer pour la nuit, ou peut-être venait-il simplement s'occuper de son propre cheval.

─ C'est mieux que de dormir dans un arbre. En plus, s'il y a du danger, je compte sur nos chevaux trouillards pour m'avertir, lui dit-elle entre deux bouchées de noix.

Dormir sur un arbre... C'était une idée de roturier, et Lautrec tenait un minimum à son confort. Et alors que son amie les dirigeait vers une petite cabane, hélas occupée, le cendré se noya quelques instant dans ses pensées
Son père se moquerait sans doute de lui, à le voir dormir dans une cabane perdue au milieu des bois, avec son armure abimée sur le dos.
Mais cette simple pensée suffit à alimenter la fournaise de colère dans son cœur, ce qui lui donna l'énergie d'être encore plus irritable que d'habitude. La masure était au mieux miteuse, ses murs mal entretenue laissant passer autant de courant d'air qu'un vieux château.
Et si les lits avaient été autre chose que des tas de planches mal fixés, le chevalier aurait sans doute considéré de dormir dessus. Mais en plus d'être inconfortables, ils étaient occupés. Par des voyageurs qui en voyant son armure se levèrent, reconnaissant son statut.
Et si Ama l'abandonna devant les deux roturiers, qui lui proposèrent rapidement de prendre la place, le cendré secoua la tête, préférant rejoindre son amie. Au moins, cette dernière ne sentait pas la mort comme les voyageurs...

Quelques tas de paille fraiche étaient disposés dans l'étable, et si les chevaux étaient parqués à part, il ne restait que peu d'espace, ce qui conduisit le chevalier à s'asseoir proche de la demoiselle.
Son armure pesait, surtout en fin de journée, et il savoura le moment ou le poids de cette dernière fut soutenu par autre chose que ses muscles.

-Et l'écurie vaut mieux que des lits miteux, occupés par des gens malodorants.
Je ne sais pas comment fait le bas peuple pour se laisser aller ainsi.

Dit il en défaisant les boucles de sa cuirasse, se débarrassant petit à petit de sa gangue d'acier, jusqu'à n'aborder qu'un pantalon brun usé mais de bonne qualité, ainsi qu'une chemise en lin blanche, qui laissait entrevoir sa peau diaphane.
C'était peut être la première fois qu'il se montrait aussi peu vêtu en présence de quelqu'un, mais la nécessité faisait loi. Et dans le cas présent, l'hygiène était plus important qu'un peu de pudeur.
Récupérant de quoi se laver dans sa sacoche, il trouva un baquet d'eau froide, dans laquelle il ne tarda pas à plonger. L'eau de pluie était fraiche, mais la température était encore clémente. Et s'il se lavait habillé, il avait de quoi se changer juste après.

-J'espère que tu prend soin de toi aussi, il n'y a rien de pire qu'un compagnon de voyage qui sent la mort. Et... pour éviter les infections, c'est un plus.

Ses vêtements trempés collaient à sa peau, laissant voir sa musculature fine, qui laissait apparaitre quelques ecchymoses et cicatrice. L'aventure ne l'ayant pas plus épargné qu'un autre.

-Je peux te prêter du savon si tu veux.

Dit il sans arrière pensée, prenant bien soin de récurer chaque partie de son corps

Chacun son chemin, chacun son destin
feat Lautrec S. Seland

"Je ne sais pas comment fait le bas peuple pour se laisser aller ainsi."

Amaryllis avait vécu plusieurs années dans la rue ; en réalité, pendant toute son enfance. Une enfant des rues de Babel, abandonnée dans un quartier malfamé, laissée aux mains de la racaille locale. Entourée de d'autres orphelins comme elle, et pourtant entièrement seule. Elle avait dormi sur le sol, avait parfois passé des jours sans manger. On l'avait frappée, elle s'était battue pour un morceau de pain. Lautrec n'avait certainement aucune idée de ce que pouvait vivre le petit peuple.

─ La vie n'est pas toujours facile pour le peuple, lui fit-elle remarquer.

Elle le regarda retirer son armure. Ah, il y avait effectivement un homme là-dessous ; peut-être même un cœur qui battait. Vêtu d'un pantalon et d'une chemise, il s'immergea dans un baquet d'eau pour un bain improvisé. Amaryllis porta son attention ailleurs, même si la vue des vêtements collant à la peau de l'homme n'était pas une vue désagréable. Elle lui laissait ainsi un peu d'intimité.

"-J'espère que tu prend soin de toi aussi, il n'y a rien de pire qu'un compagnon de voyage qui sent la mort."

─ Y'a pire qu'un compagnon de voyage qui sent la mort. ... Un compagnon de voyage mort.

Énoncer l'évidence, Amaryllis aimait bien ça, elle était douée pour ça.

"Je peux te prêter du savon si tu veux."

─ Je frotte ton dos, tu frottes le mien?, lui demanda-t-elle alors, sans être sérieuse, un léger sourire amusée aux lèvres. ─ J'ai tout ce qu'il me faut dans mon sac. Même si elle passait beaucoup de temps sur la route, la mercenaire trouvait le temps de s'occuper d'elle. C'était important d'avoir une bonne hygiène de vie, quand même.

Après un petit bain, Amaryllis ne dormirait que mieux.
Et puis, Lautrec semblait plutôt y tenir.

La mercenaire termina une poignée de noix, puis se leva. Elle retira sa ceinture et ses protections. Elle hésita un court instant, avant de retirer le protège avant-bras qui recouvrait son emblème ; elle ne le retirait jamais en public, cependant Lautrec était déjà au courant, et les autres dans la cabane s'étaient couchés pour la nuit. Lorsque l'homme quitta le baquet d'eau, elle prit sa place. Froide à souhait, cette eau, mais pas davantage que celle des petits cours d'eau où il lui arrivait de se tremper. Amaryllis utilisa son emblème pour faire apparaitre un paravent. Elle était sans gêne, mais elle préférait un instant d'intimité, même si elle ne se dénudait pas complètement. Elle pouvait maintenir cette illusion quelques minutes ; cinq minutes avant qu'elle ne devienne transparente, sept avant qu'elle ne disparaisse. C'était suffisant.

─ Dormir dans le foin, n'est-ce pas indigne de ton statut de noble?, demanda-t-elle pour faire la conversation... mais surtout pour l'embêter avec des allusions sur sa noblesse ; surtout que Lautrec se pensait au-dessus des roturiers. Là, le voilà au même niveau.

La vie pas facile pour le peuple ? Il poussa un léger soupir.
La vie n'était facile pour personne, même les nobles avaient leurs soucis. Certes, entourés de luxe, mais parfois, une cage dorée ne valait pas bien mieux qu'une rouillée. Elles étaient froides, étroites, et ne laissaient guère de place dans tout les cas.
Laissant la demoiselle à ses pensées, il se contenta de se sécher, sortant une serviette et du change, qu'il enfila pendant que la demoiselle prenait son propre bain.
Au moins, elle était propre.
C'était une pensée presque amusante au vu de leur situation respective. Mais ces derniers temps, le cendré se contentait de vraiment peu de choses

Pendant qu'elle se glissait dans son bain, Lautrec l'ignora, surtout quand il découvrit un paravent illusoire entre eux. C'était bien dommage, car elle avait des courbes élégantes, que la lune montante aurait sans doute rendu plus désirables encore.
Mais dans une grange miteuse, presque ouverte aux vents, la chose n'était pas forcément bien engagée.
Laissant son armure de côté, il sortit une épaisse couverture, dont la qualité était bien cachée par son usure. L'ensemble était doux, mais affichait quelques traces d'utilisation intensive, et de lavage tout aussi intensif.
Et alors qu'elle se nettoyait, une question, qui sonnait presque comme une moquerie vint. Alors qu'il tentait de se faire un petit nid chaud dans la paille, il releva la tête avant de répondre.

-Bien sur que ça l'est.
Un noble ordinaire ne devrait pas avoir à dormir comme ça.

Répondit t'il avec tout le sérieux du monde avant de finalement se mettre à rire.
C'était sans doute la fatigue, mais il se sentait d'humeur à plaisanter un peu.

-Mais un noble ordinaire ne pars pas à l'aventure avec son armure sur le dos, et en ayant arraché l'insigne de sa famille.
Pas plus qu'il ne passe du temps et des nuits avec les roturières. C'est à croire que je ne suis pas si ordinaire que ça non ?

Saisissant une petite pierre, il hésita quelques instant à la lancer sur le paravent illusoire, mais se ravisa au dernier moment, mieux valait éviter, la demoiselle avait l'air plutôt pudique.
Et puis... elle avait eu la décence de ne pas le fixer quand il c'était lavé.
Soupirant légèrement, le cendré préféra répondre.

-Au moins, la paille tiens chaud. Tu n'as pas idée d'à quel point un château peut être glacé la nuit, on s'étonne que je préfère passer les nuits accompagné...
Et toi alors ? Tu ne préfèrerait pas être au chaud ? Plutôt que dans une étable avec un semi inconnu qui se prétend noble sans t'avoir montré la moindre preuve ?

Car s'il y avait bien une chose traitre dans ce monde, c'était que la noblesse n'était qu'un titre, que rien ne prouvait, sinon des traits plus soignés et une éducations souvent supérieure.
Lui préférait s'amuser de la situation, un jour surement, il lui faudrait raccrocher cette vie, et prendre ses responsabilités en tant que premier né. Mais pour le moment... il avait envie de simplement profiter de sa nouvelle vie, avec Ama pour un temps indéterminé

Chacun son chemin, chacun son destin
feat Lautrec S. Seland

Elle l'entendit rire. Elle ne croyait pas l'avoir déjà entendu rire ; soit l'homme était particulièrement fatigué, soit il riait de sa propre situation ridicule pour un noble. Ce dernier en vint à une conclusion : il ne devait pas être un noble si ordinaire que ça.

─ Je suppose que non, mais je ne connais pas d'autres nobles pour comparer. Tu devras donc me présenter tes amis.

L'eau et le savon sur sa peau effacèrent les traces laissées par la route ; la sueur et la poussière devinrent rapidement choses du passé.

Elle écouta ce que Lautrec avait à dire, sur la paille et la froideur d'un château. La nomade connaissait bien la chaleur de la paille, beaucoup moins la froideur d'un palais. Elle sortit du baquet d'eau pour s'essuyer et enfiler des vêtements de rechange, profitant du paravent pendant qu'elle pouvait encore en maintenir l'illusion.

─ Que tu sois noble ou non m'importe peu. Alors si tu mens, tu devrais garder tes mensonges pour quelqu'un d'autre.

Après tout, Amaryllis ne l'avait jamais traité ni considéré différemment, simplement car il se disait noble. Elle ne s'intéressait pas à la politique, ni aux titres glorieux de la royauté.

Un rongeur qui passait par là vint ruiner l'illusion en touchant le paravent. Peut-être le noble eut-il l'occasion de contempler un peu de peau, avant qu'Amaryllis ne termine d'enfiler son chemisier.

Elle accrocha son linge trempé sur des poutres de bois, attrapa sa vieille couverture et se planta devant l'homme. ─ Hmph. Qui allait à la chasse perdait sa place, et apparemment Lautrec ne s'était pas gêné pour accaparer le seul lit valable. ─ Pousse-toi.

Lorsqu'il lui laissa un peu d'espace, elle s'installa sur l'amas de foin. Partagée ne l'embêtait pas vraiment, en autant que l'homme ne gigotait pas trop, ne ronflait pas et n'essayait pas de l'enlacer pendant la nuit.

─ J'ai dormit dans pire endroit et avec des inconnus, alors ça va.

Elle s'étira, puis soupira de satisfaction.

─ Nous devrions arriver à destination demain, en fin d'après-midi, si tout va comme prévu.

-Oh tu veux rencontrer d'autres nobles hein ? Attention, ça pourrait être une demande regrettable, mais je garde ça dans un coin de mon esprit. Après tout, tu verrai au moins une partie du monde qu'on ne voit pas souvent.

Etait-ce une mauvaise chose ? Pas vraiment, car si les entrelacs des intrigues de la noblesse pouvaient paraitre une bonne sources de roman pour les plus imaginatifs, les choses étaient bien moins roses quand on évoluait dedans.
Et si l'ancien statut de Lautrec le plaçait de facto au dessus des quelques bravades des castes les plus basses de la noblesse, certains desseins bien plus obscurs avaient des chances de le toucher.
La vie était ainsi faite, et même bien placé dans la hiérarchie sociale, on ne se débarrassait pas des problèmes.
Soupirant pour lui même, il se renfonça dans son couchage de fortune, replongeant quelques instant dans son ancienne vie.
Et la conclusion de son amie lui tira un léger sourire.

-Si c'était aussi simple...

Mais il resta évasif, préférant se concentrer sur le spectacle qu'un rongeur lui offrit. Un éclat de peau qu'illumina un clair de lune et qui confirma que la demoiselle était une créature rare parmi les mercenaires.
Il resta cela dit discret sur son œillade, mais garda cette image gravée dans son esprit, sans doute comme le seul bon souvenir de ce voyage.
Et lorsque l'ombre d'Amaryllis apparut au dessus de lui, le cendré leva les yeux, presque surprit de la voir aussi proche de lui. Ce fut la seule fois ou il s'éxecuta sans broncher, faisant une place pour l'aventurière, visiblement, ce petit tas de foins leur servirait de lit commun.

-Ce qui me lève au rang d'au dessus d'inconnu, c'est un bon début.

Quant à lui, il n'allait certainement pas dire non.
La demoiselle portait sur elle un doux parfum enivrant, qui lui rappelait des nuits plus heureuses. Et puis... au vu du climat, partager un peu de chaleur ne serait pas du luxe.
Relevant la couette jusqu'à son nez, il reprit.

-Tu sais bien que les voyages ne vont jamais comme prévu. Sinon, nous ne serions pas en train de partager un tas de foin pour dormir.
Note que ce n'est pas l'expérience la plus désagréable que j'ai eu jusque là.

Il restait simplement à espérer que personne ne viendrait les déranger. Si la paille n'était pas trop dure, le sommeil tarderait quand même à venir, il le savait.
Fort heureusement, il avait les étoiles à contempler, la porte de la grande ne s'arrêtant qu'à hauteur d'homme, ce qui lui laissait un certains panorama. Et si Amaryllis aurait été aussi distrayante à observer, il se sentait un respect nouveau pour la demoiselle.

-Et une fois la bas ? Quoi de prévu ?

Les Chroniques d'Elysia

Izar de l'An 1

Les scénarios

[Privé] Chacun son chemin, chacun son destin | Lautrec