Depuis combien de temps le fief était en effervescence ? Des jours ? Des semaines ? Impossible de réellement le dire. En attendant, les équipes avaient été renforcées, aussi bien les domestiques que les gardes et il avait été interdit à l'héritière de filer à l'anglaise comme elle pouvait le faire souvent. Il y avait une personne des plus importantes qui honorait la famille de sa venue, hors de question de voir Styx partir sur le dos de sa wyverne en plein milieu de la réception après une énième dispute entre elle et le duc. Toutes ces mondanités étaient une vraie purge pour la jeune femme qui n'aspirait qu'à la tranquillité de la nuit, dormir à la belle étoile loin du bruit et de l'agitation des siens.

Alors, lorsqu'il avait fallu choisir la tenue d'accueil de cette fameuse personne si importante, la jeune femme s'était énervée. Pourquoi devait-elle se plier aux coutumes idiotes qui disaient qu'elle devait porter une robe à fanfreluches de la sorte ? Hors de question. C'était clairement non négociable si le duc et la duchesse souhaitaient avoir la demoiselle à leurs côtés pour donner l'impression qu'ils étaient une famille parfaite. Et ça faisait ricaner Styx qui fixait le miroir en face d'elle. Ce n'était pas elle, cette inconnue qui la regardait comme si elle s'était trompée d'endroit, de tenue, et de lieu de naissance. La seule chose qui trouvait grâce aux yeux de l'héritière était le rouge foncé de la robe. Elle était bien trop serrée, bien trop longue, bien trop décolleté. Bien trop tout. Styx était une belle femme, musclée et dont la peau n'était que peu marqué par les rayons du soleil même si elle passait le plus clair de son temps loin de la maison familiale.

Elle poussa un profond soupire avant de prendre le ruban posé sur sa coiffeuse en bois hors de prix et elle noua ses cheveux d'un noir profond en un chignon lâche. Tout ça lui semblait si inutile, si hypocrite. Tout ce qu'elle détestait. La jeune femme souffla un bon coup avant de finalement enfiler ses chaussures sans talon et de sortir de la sécurité relative de sa chambre. Tout le monde s'affairait malgré la chaleur étouffante et un soleil de plomb. Elle entendait au loin les tambours qui raisonnaient, signifiant l'arrivée de la grande invitée du jour. Rapidement, malgré le dédale de couloirs que la belle connaissait par coeur, elle se retrouva aux côtés de sa famille, un pas derrière ses parents. Tous ces gardes, tous ces gens... Ça la rendait nerveuse. Encore plus qu'habituellement. Personne n'avait voulu lui dire de qui il s'agissait... On ne faisait que lui mentir. Trop instable, trop jeune. Elle venait de fêter ses trente ans...

Et... En vérité... Styx fut frappée par l'arrivée remarquable de l'Impératrice Eun-Ji. Elle n'avait vu que quelques croquis ou esquisses de la jeune femme. Et la demoiselle pouvait bien dire sans rougir que ces dessins étaient loin de rendre justice à la dirigeante. Elle était si happée par sa contemplation que la monteuse de wyverne en oublia le petit salut formel. Ce ne fut que lorsque le duc lui donna un coup de coude qu'elle s'exécuta presque automatiquement sans baisser les yeux. On conduisit rapidement l'invitée à l'intérieur de la demeure Galvani pour la protéger du soleil, de cette chaleur incroyable. Et l'héritière suivait en traînant des pieds. Elle dénotait clairement dans cette assemblée parfaite. Rapidement, Styx s'esquiva près d'une fenêtre ouverte pour se réfugier sur le balcon en quête de quiétude et de calme. Elle voyait au loin Hadès qui volait autour du jardin. Il semblait s'éclater comme un fou, lui, chanceux. Pourtant, il avait toujours un regard vers la maison. Il savait. Tous savaient que la demoiselle était une bombe à retardement dans ce genre d’événement. Surtout depuis la mort de Stolas.

Adossée à la rambarde de pierre, le nez en l'air, elle était complètement perdue dans ses pensées. Et si finalement, elle suivait ce rêve fou ? Prendre ses affaires dans un sac, voler de l'argent familial et partir sans se retourner ? Que risquait-elle vraiment ? À part se faire tuer, kidnapper ou pire encore ? Non vraiment, cette idée trottait de plus en plus dans sa tête. Il y avait ses frères et soeurs pour prendre sa place, personne ne la regretterait vraiment. Peut-être Hawke. Et encore. Elle savait les sentiments de son ami d'enfance envers elle mais... Mais Styx choisissait de les ignorer. La nuit tombait sur les pensées de la jolie demoiselle qui se tenait bien loin de l'agitation de la fête. Le banquet allait être bientôt présenté et ce serait sans doute le meilleur moment pour esquiver tout ça. Ses parents seraient devant le fait accomplis et ils ne risqueraient pas de la faire chercher devant la magnifique Eun-Ji. Ce serait perdre la face. Dans ce monde hypocrite, ils en seraient incapable. « J'arrive bientôt, Hadès. »

Le ciel semblait être clément en cette chaude journée d'été. Et voir l'impératrice si parfaite, si incroyablement parfaite malgré l'écrasante température, ça accentuait la fascination de Styx. Elle voyait bien que les personnes qui ne vivaient pas à l'année sur les terres arides, semblaient souffrir. Mais pas cette femme. Pas cette demoiselle aux cheveux blonds si clairs, à la peau si blanche. Elle était tellement différente des autres. Comme un personnage sortant des comtes qu'elle avait pu lire jeune, enfermée sous sa couette. Alors, bien-sûr, elle mit un temps à se rendre compte de son impolitesse protocolaire. Et même si ça ne la toucha pas plus que ça, juste pour rendre hommage à l'impératrice, elle s'inclina.

Et encore obsédée par l'image de cette femme parfaite, Styx avait fuit dans un coin de la demeure le temps des pourparlers. Il aurait fallut sans nul doute la présence de l'héritière mais le duc connaissait le comportement de sa fille aussi, il avait prit soin de la tenir loin de la discussion. Pour le plus grand soulagement de la demoiselle aux cheveux de jais. Déjà qu'elle se sentait terriblement serrée dans sa tenue, devoir rester des heures assises pour entendre des mensonges... Très peu pour elle. Tout ce que la demoiselle souhaitait... C'était être avec sa wyverne. Elle ne voulait surtout pas être ici. Dans cette vie, bien rangée dans une case si loin de ce qu'elle était réellement.

Et Styx était complètement perdue dans la contemplation d'Hadès lorsque l'impératrice prit la parole. La belle eut un léger sursaut avant de tourner ses yeux dorés vers l'inconnue si belle. Ses joues se tintèrent d'un léger rose en se rendant compte que son interlocutrice se présentait à elle si naturellement. Et elle ne put s'empêcher de tourner la tête pour être certaine que ces mots lui étaient adressés. « Je vous en pris... Je suis Styx. » Petite hésitation mais finalement, à quoi bon cacher son nom de famille ? L'impératrice devait déjà être au courant. « Styx Galvani. Je suis... vraiment ravie de vous rencontrer, Impératrice Eun Ji. »

Devait-elle prononcer son nom également ? La brune ne savait même plus, actuellement. Et en même temps, tous ces protocoles... Ce n'était pas pour elle. Alors, elle ne se forçait pas outre mesure. Styx reporta son attention sur la fenêtre en entendant la phrase si vraie de la blonde assise à côté de lui. Son regard se teinta d'une légère tristesse et surtout de compassion pour la magnifique demoiselle qui dénotait dans cette demeure pourtant si faste. « Si vous voulez... Je peux vous faire sortir de ma cage pour quelques heures. » Hein ? Elle venait vraiment de dire ça à l'impératrice ?? Elle rougit encore plus de ses mots qu'elle avait osé prononcer. Et pourtant, la demoiselle était sincère. Aussi sincère qu'Eun Ji. L'héritière n'avait décelé aucun mensonge dans sa phrase. Comment pouvait donc faire l'impératrice aussi belle que le soleil pour réussir à ne pas se débattre ? À ne pas couler ?

« C'est un beau pays malgré les apparences. Les gens ont le coeur bon. Aussi chaleureux que le climat. Et parfois étouffants aussi. Je pourrais vous montrer le vrai visage de mon pays, sans le luxe et les artifices. Celui qui me donne la force de me lever chaque matin pour supporter cette cage dont vous semblez également prisonnière. » Comme mue par un lien télépathique, la wyverne qui virevoltait dans le ciel, passa juste devant la fenêtre, tournoyant avant de revenir encore, dans un stationnaire approximatif pour passer sa tête par l'ouverture. Styx sourit sincèrement à l'impératrice avant de lui prendre délicatement la main.« Il ne vous fera pas de mal. Fermez les yeux juste un instant. » Et entrez dans mon monde, Eun Ji. Elle serra un peu les doigts fins et d'apparence si fragile de la blonde avant de poser sa paume sur le nez d'Hadès qui ne bougea pas, docile.

S'entretenir avec elle ? Pour le coup, l'impératrice put voir l'étonnement sur le visage fin de la jeune héritière. Il était rare qu'on la convie pour divers affaires de famille. Elle était bien trop imprévisible aux yeux du duc Galvani. Et même s'il avait pris soin de lui donner une éducation en vue de prendre sa place, il n'était pas encore certain de donner cette responsabilité à une fille qui préférait filer à dos de wyverne, parcourir les terres de la famille et donner son repas aux orphelins du coin. Ils étaient une famille noble, des notables et ils ne devaient pas s'abaisser à ce genre de plaisanteries. Combien de fois l'avait-il reprise à ce sujet, punie même ? Mais toujours, elle recommençait. Toujours, elle se fondait dans la masse du peuple pour les aider. Et en retour, ces gens l'aimaient bien, lui pardonnaient ses fuites, ses mots parfois maladroits. Et ça aussi, ça ne plaisait pas au duc. Eux, les aînés, ne pensaient gouvernés que par la terreur alors que la petite brune n'avait envie que d'aimer ces inconnus, de les aider à avoir une vie meilleure. Toutes ces choses qui auraient fait d'elle une excellente duchesse si la guerrière avait eu pour projet de prendre la place qui lui était due. « Que puis-je faire pour vous aider ? »

Mais bien vite, la discussion partit sur une cage dorée, sur un monde bien trop étroit pour la fougueuse héritière. À l'image de ses habitants, Styx était impulsive, dictée par un instinct et un emblème qui la poussaient à vouloir autre chose, à avoir une soif de liberté grandissante chaque jour. « Rien n'est sans risque dans la vie, mais je vous promets que je vous protégerais. » Et cette promesse sonnait presque comme un serment. Pourquoi ? Même la demoiselle n'en avait aucune idée. C'était sortit tout seul et... Elle le pensait réellement. Un léger sourire aux lèvres, elle essayait de se faire rassurante. Après tout, si les Galvani avaient un lien particuliers avec les serpents ailés, il n'en était pas de même pour les autres habitants de ce monde. C'était sans doute une proposition unique pour l'impératrice. Ou du moins, quelque chose qui ne pourrait se reproduire que plus tard. Bien plus tard. Le ciel était entrecoupé du passage d'Hadès, son rouge rayonnant toujours comme un roi. S'il avait été libre, il aurait été un alpha. Il aurait été fort et puissant. Mais, ils n'avaient pas eu le choix de naissance, ni Styx ni l'animal. Alors, ils se comprenaient. Ils se soutenaient.

« Il n'y a que dans la peur qu'on prouve notre courage, impératrice. Ne vous excusez pas de vos sentiments. On me le demande bien trop souvent pour que je sache ce que ça fait. » Son ancien maître d'arme lui répétait souvent cette phrase. Sans peur, pas de courage. C'était juste de l'inconscience et embrasser la mort bien trop vite. Alors, même la peur était un sentiment noble. Tous méritaient d'exister tant qu'ils ne paralysaient pas la personne qui ressentait tout ça. « Je vois ce que vous voulez dire. Et je suis d'accord. Mais, il semblerait que nos aînés ne soient pas dans le même genre de discours. Je suis certaine que mon père n'a fait que vous parler guerre, territoire, ascendant et or. » Et ça tira une légère grimace qui disparut bien vite sur le visage de la belle héritière. Elle le connaissait par coeur, le petit texte bien rodé et préparé du duc. Ce n'était que des idioties finies.

Si bien que rapidement, elle attrapa la délicate main de son interlocutrice, apercevant le recul de la jeune femme. Quoi de plus normal ? Pourtant, la blonde choisit de faire confiance à la brune. Et cette marque toucha profondément Styx, faisant vibrer des cordes qu'elle n'avait jamais ressenti jusque là. Elle posa la main de l'impératrice sur la tête de la wyverne, gardant la sienne par dessus celle si délicate d'Eun Ji. Elles étaient proches, Styx pouvait sentir le parfum délicat de l'invitée, elle pouvait sentir le coeur de la dame se calmer peu à peu pour battre à l'unisson avec celui d'Hadès. Ce petit lien fit sourire l'héritière qui finit par reprendre les doigts entre les siens, libérant l'animal qui repartit à la conquête du ciel. Elle ne bougeait pas, ne se lassant visiblement pas d'admirer sa comparse. « Ce sont des créatures fascinantes, vous ne trouvez pas ? Il faudrait que je vous montre les bébés, avant que vous ne repartiez. » Et qu'on passe un peu de temps ensemble, encore. Mais on ne formulait pas ce genre de chose. Pas ici, ni maintenant, ni face à quelqu'un d'aussi important que la demoiselle. Elle se pencha un peu après avoir remis une mèche blonde en place, un coup d'oeil pour être certaine que personne ne regarde et elle murmura. « Merci de m'avoir fait confiance, Eun Ji. »

L'impératrice était très loin de l'image qu'on en avait donné à Styx. Dans les yeux de la jeune femme assise à côté d'elle, l'héritière pouvait y lire bien des choses mais pas ce que les rumeurs disaient. Enfin, pas toutes. Il était indéniable que la dirigeante était une femme très belle, qu'elle semblait aussi douce qu'un levé de soleil après une nuit d'insomnie et qu'elle semblait vouloir changer les choses. Mais, Styx y lisait aussi autre chose, dans ce regard. De la détermination, de la force - pas physique mais une force de caractère indéniable - et une conscience accrue des choses. Alors, il fallait bien avouer que se faire accostée par la demoiselle, c'était quelque chose. La femme aux cheveux de jais observa encore un peu la blonde qui venait de lui demander de parler d'elle. Que dire ? Était-elle sérieuse ? C'était très rare qu'on s'intéresse à la rebelle qu'elle était. On préférait généralement la cacher sous le tapis en lui priant de ne surtout pas faire de vague. « Hé bien... J'avoue être encore surprise de votre intérêt. Je suis mh.. Le mouton noir de la famille, destinée à reprendre la maison Galvani mais je n'ai envie que de liberté, fuite et calme. J'aime passer ma vie dehors, aller jouer avec les orphelins de la ville à côté, parcourir le ciel à dos de wyverne. Tout sauf... Ce que je suis censée faire vraiment. »

Elle eut un léger gloussement involontaire. Sa vie était rythmée de cours, d'ennuie, de fuite et de disputes. Elle avait envie d'autre chose, de cette liberté que sa fratrie avait, de celle que les petites gens possédaient sans s'en rendre compte. Styx était une aventurière. Elle avait une âme vive comme le feu, imprévisible comme les flammes dévorant la forêt mais c'était une bonne personne. La jeune femme n'était pas du genre à vouloir du mal aux autres, bien au contraire. Malgré les abandons successifs qu'elle avait subit, la demoiselle demeurait de celles qui souhaitait protéger son peuple. Elle aurait sans doute fait une bonne duchesse si ce rôle lui avait plu. Mais ce ne serait jamais le cas. La petite phrase de l'impératrice concernant la protection la fit sourire un peu plus. Styx hocha la tête doucement, bien consciente qu'il ne s'agissait pas de muscle ou d'épée. Et c'était presque plus doux comme ça, plus dangereux dans la position d'Eun-Ji.

Ses yeux ambrés fixaient la jeune femme à côté d'elle, bien consciente de la chance qu'elle avait. Et par l'admiration grandissante qu'elle éprouvait pour cette inconnue qui représentait presque tout son opposé. Presque. L'héritière hocha la tête, finissant par hausser les épaules aux nouvelles paroles de l'impératrice. Elle prêchait une convaincue, à n'en pas douter. « Je pense que malheureusement, il va falloir attendre la prochaine génération pour que votre espoir de paix semble plus... Réaliste aux yeux des autres. C'est bien dommage d'être autant désireux de sang et de territoire. » La brune eut un léger soupire. Heureusement, la suite était bien mieux. Elle dévia sur les wyvernes avec grand plaisir. Et sur Hadès, cet être toujours présent, le seul qui jamais ne la décevait. La réaction de son interlocutrice la touchait et en même temps forçait le courage. Difficile de ne pas flipper en voyant un monstre comme sa wyverne débarquer par la fenêtre.

Elle serrait doucement la main de l'impératrice dans ses doigts, elle avait la peau si douce alors que la sienne était si caleuse, si rustre presque. L'héritière eut un léger sourire en haussant les épaules. « Les Galvani sont connus pour les élevages de wyvernes. Les petits sont séparés assez tôt des parents pour éviter les attaques. Ils sont également habitués aux humains. Il faut juste... Ne pas les attaquer. Ce sont des êtres doux malgré les apparences. Doux et sages. » Dire que Styx était une véritable amoureuse de ces créatures était un euphémisme. Elle avait les yeux brillants quand elle parlait de ces êtres ailés. Ils étaient si fascinants ! Presque autant qu'Eun-Ji. Et cette pensée fit légèrement rougir la fille du duc. Oui, presque. « Ils ont une certaine beauté, une douceur qu'on ne voit pas au premier regard. Il faut passer la barrière de la peur pour le remarquer. »

Quand la jeune femme pensait à sa vie, le premier mot qui lui venait toujours était difficile à encaisser. Abandon. Voilà ce qu'elle était réellement, un être assez insignifiant pour être abandonné d'un claquement de doigt sans le moindre remord, sans le moindre égard pour son coeur qui portait désormais les stigmates bien trop douloureux pour être réellement racontés. Que pouvait-elle dire à cette femme si magnifique, si maîtresse d'elle-même ? Ne m'approchez pas, je ne le mérite pas. Vous aussi, vous allez partir et me fuir. Elle baissa légèrement ses yeux ambrés à la fin de sa tirade. Et puis, il y avait l'Emblème qui ornait sa cuisse comme une marque faite au fer rouge. Maudite dès la naissance. Était-ce la raison de cet abandon ? Possible. En tout cas, après des semaines à réfléchir, c'était sans doute le cas pour la seule figure paternelle qu'elle considérait. La voix de l'impératrice la tira sans mal de son marasme cérébral. Elle était surprise de cette confession. « Et vous voilà, forte et magnifique, sur les terres arides des Galvani. N'y voyez pas un quelconque reproche mais je serais incapable de faire semblant. »

Même avec toute la pression du monde, les serments traditionnels et l'obligation familiale, jamais Styx ne serait une assez bonne duchesse. Du moins, le pensait-elle. Trop proche du peuple, trop inquiète pour ses sujets. Trop désireuse de partir loin, de découvrir ce que le monde pouvait lui offrir, trop... Trop. La jeune femme reposa ses yeux sur la fenêtre, les nouvelles paroles de son interlocutrice la touchèrent en plein fouet. Vraiment ? Pouvait-elle choisir ça ? Elle eut un léger rire plus nerveux qu'autre chose. « Mon impératrice me dirait-elle de désobéir aux ordres pour choisir finalement une autre voie ? » Le ton de sa voix était doux, reconnaissant de ces quelques mots qui signifiaient bien plus que ce qu'Eun-Ji pouvait imaginer. Cependant, lorsque la chaleur de la blonde se retira de sa main, il y eut une pointe de regret dans les yeux ambrés de Styx. Elle aurait aimé encore garder ces doigts fins entre les siens, abîmés par les entraînements et ses occupations qui la menaient toujours hors des murs du bureau.

« Je ne sais pas si je deviendrais la duchesse Galvani mais même si ce n'est pas le cas, je vous aiderais. Je crois en vous et en vos mots. Il n'est plus le temps de la guerre. Et si quelqu'un peut bien le faire, ce sera vous. » Pas de mensonge ni de l'une ni de l'autre. L'héritière posa ses deux mains sur celles de l'impératrice comme pour sceller cette promesse faite au détour d'un couloir. Oui, Styx savait qu'elle ferait tout pour que ça se fasse. Même si elle devait prendre un rôle qui ne lui conviendrait jamais. Tout ce qui frappait son esprit, c'était de rendre honneur à la douce Eun-Ji et réaliser ce rêve qui semblait encore impossible. Elle lui sourit franchement avant de.... rougir. Ah. Elle ne s'était pas du tout attendue à ça. Elle posa finalement ses doigts sur ses joues teintées et haussa maladroitement les épaules. C'était un compliment incroyable pour la belle qui vénérait réellement les créatures draconiques. « Je... Merci. Habituellement... Être comparé aux wyvernes n'est pas flatteur. Les gens ne les aiment pas. » Olala.... Pourquoi était-elle autant gênée ? « Vous... Vous aussi, vous êtes douce et... Je vous trouve vraiment courageuse. J'avoue que je vous admire un peu. » Un peu beaucoup, en fait. Mon dieu. Elle avait envie de s'enfermer dans un trou de souris. Pourquoi avait-elle dit ça ?

Que voulait-elle ? C'était LA question et Styx en avait parfaitement conscience. Que voulait la jeune héritière au fond d'elle-même ? Partir. La liberté. Oui, c'était sans doute ce qui lui tenait le plus à coeur, la première réponse instinctive qui venait suite à cette question si essentielle. Elle voulait vivre libre, sans avoir besoin de répondre à des dictats inutiles, sans avoir à vendre son âme et ses principes pour quelques sourires faux et accords inutiles qui seraient brisés en un claquement de doigts. Oui, elle voulait juste vivre tranquillement quelque part, loin de tout ça, loin de ces décisions qu'elle refusait de prendre parce que ça signifiait fractionner son âme en morceaux et les brûler petit à petit. Et ça, Styx ne voulait pas. C'était sans doute la seule chose qui la différenciait de son père. Il n'avait plus la moindre compassion pour les gens, le moindre souci pour les gens qui avaient réellement besoin de lui. Il suffisait de voir comment il traitait ses propres sujets ou comment il crachait presque au visage de l'Impératrice parce qu'elle essayait juste de changer les choses.

« Vous avez raison. Sur tous les points. Est-ce que vous êtes sûr qu'un jour, les choses changeront ? Je... J'aimerais tellement croire que c'est possible mais quand je vois... Ma famille... Je ne peux pas m'empêcher de me dire que c'est une cause perdue. » Et les abandons successifs n'aidaient en rien. Ses yeux d'ambre fixaient le doux visage de l'impératrice et un constat s'imposa dans son esprit. Cette femme incroyable, celle qui se tenait devant elle, elle était bien plus forte que ce que les autres le pensaient. Elle était plus forte que la montagne, que le soleil. Ça, Styx le voyait et elle ne l'en admirait que plus encore. Personne d'autre ne le remarquait ? Pourtant, Eun-Ji irradiait de ce quelque chose qui en imposait, de ce petit plus qui fit chavirer le coeur de l'héritière en un instant, comme un claquement de doigts. Elle la suivrait jusqu'aux confins du monde pour la protéger, c'était une évidence. Mais dans le coeur encore jeune de la belle guerrière, les premières graines d'un amour sincère commencèrent à germer.

Oh.. Wait... Le banquet ??? Ça par contre, ça tira totalement Styx de son admiration. Ah. Elle voulait vraiment passer le banquet à ses côtés ? Elle, le vilain petit canard des Galvani ? Oh... Oh, ça touchait tellement Styx. Un grand et franc sourire se plaqua sur son visage. Et elle ne mentait pas, en plus, Eun-Ji. Par la déesse, qu'elle était touchée... La jeune femme hocha vivement la tête sans que son sourire ne se fane. « Avec grand plaisir ! Je vais vous faire une confidence... Il se peut que mon père en perde ses mots, de me voir à vos côtés. Habituellement, il doit me tirer de ma chambre pour me forcer. Mais là, ce sera très loin d'être une corvée. » Oh ça non. Mue par une envie soudaine, la demoiselle remit en place une mèche de cheveux un peu rebelle de l'Impératrice derrière son oreille avant de rougir légèrement. C'était déplacé, un peu... Mais bon, elle n'était plus à ça prêt.

Styx se tourna vers la direction de la salle qui commençait lentement mais doucement à se remplir. Elle proposa son bras à Eun Ji avec douceur, accompagné d'un petit clin d'oeil doux. « Allons-y. Je serais à vos côtés pour cet affreux moment. Je suis certaine que nous allons quand même passer une bonne soirée ensemble. » Et peut-être... Oui peut-être que ce ne serait que la première finalement. C'était vraiment un souhait formulé à mi-mot par une fille un peu perdue mais qui se disait que finalement, son monde pouvait se résumer à autre chose que la solitude et l'abandon. Elle passa sa main sur celle de la jeune femme pour se donner du courage et elle commença à avancer malgré l'air ahuri des invités et surtout de son cher papa qui n'en croyait pas ses yeux. Cheh.