Les Chroniques d'Elysia

The truth willhurt youyou just have to find what's worth suffering for.

Depuis quelques jours, Barbara ne quitte plus son bureau. Elle y vit et y dort, imitant le comportement d'un certain Duc figurant dans sa liste très limitée d'amis. La joue appuyée contre son poing, son regard passe et repasse sur la même ligne sans parvenir à la déchiffrer. De légères cernes sont cachées derrière ses verres teintés. Elle n'a pas la tête à travailler plus. Elle n'en est pas capable. Son regard carmin se détourne vers ses phalanges abîmées par les coups qu'elle a donnés dans le mur. Les plaies finiront par disparaître.

Contrairement à cette vision qui la hante. Dès qu'elle ferme les yeux, son esprit ne cesse de lui rappeler cet homme avec qui elle partage sa vie, prêt à se trancher la gorge. Personne ne l'a jamais menacé de la sorte. Parce que ce serait inefficace contre elle. Les seuls à pouvoir le faire sont ses enfants et son mari. Et jamais elle n'a pensé que cette situation aurait lieu. Elle a ressenti toute l'impuissance du monde. Peu importe à quel point Barbara est forte, à cet instant, elle n'aurait rien pu faire pour l'empêcher de s'exécuter. Elle n'a aucun pouvoir s'il ne veut pas vivre et si la valeur d'une promesse ne représente rien à ses yeux, comment le forcer à rester en vie ? Elle l'ignore.

La porte s'ouvre et la Duchesse sait qu'il ne peut s'agir que de sa vieille alliée, la seule qui ose se présenter devant elle sans risquer de perdre sa tête. Aussi, elle ne pivote pas tout de suite la tête vers l'entrée, persuadée que personne d'autre ne se heurterait à la déranger.

— Arabelle tu peux-

Tête baissée vers les piles de documents, son regard se relève et aperçoit un individu qu'elle a délibérément évité depuis leur confrontation. Lief, tenant le plateau qu'est censé lui apporter sa domestique. Il n'en faut pas plus pour qu'elle comprenne qu'il s'agit d'une de ses initiatives. La pire qu'elle a pu avoir puisqu'à part se regarder dans le blanc des yeux, ils ne font rien. Silencieux, figés. Le malaise dans la pièce est palpable. Barbara ravale sa salive, soudainement à court de mots et elle ne manque pas de remarquer l'arme qu'il a accrochée à sa taille. Elle déglutit.

— … Es-tu encore venu pour me mettre le couteau sous la gorge ?

Cherche-t-il encore à lui céder sa vie aussi facilement ? Ou à faire pression sur elle ? N'en a-t-il pas eu assez d'une victoire ? La Duchesse ne parvient pas à deviner ce qu'il pense ; il est comme toujours, inexpressif et muet. Seul un lourd soupir s'échappe d'entre ses lèvres. Elle n'est pas innocente. S'il en est venu à ce geste c'est qu'elle l'y a conduit. C'est elle qui a provoqué cette réaction chez lui. S'il avait épousé quelqu'un d'autre, il aurait mieux vécu sa relation et serait débarrassé depuis longtemps de son envie de trépasser. Elle n'a pas été capable de l'aider. Et elle ne le sera sûrement jamais. Un autre constat amer. Elle ne peut pas ignorer sa peine et sa douleur. Elle l'a déjà bien trop fait.

— … Pendant toutes ces années… Je n'imaginais pas que vivre en ma compagnie était un tel calvaire pour toi… Je me suis persuadée que si tu ne disais rien, c'est que tout allait bien. Que tu ne manquais de rien…

Parce que sinon, il en aurait parlé. Mais ça, c'est une excuse. C'est elle qui n'a pas prêté attention, qui s'est contentée de fuir le problème, centrée sur son objectif, sa petite personne.

— Je n'ai jamais cherché à savoir et quand j'ai appris la vérité…

Elle s'est énervée contre les coupables. Elle a voulu mettre le monde à feu et à sang pour l'apaiser. Elle croyait bien faire sauf que ce n'était pas le cas puisque la façon qu'il a eu de s'opposer à elle c'est de vouloir sa propre mort... Barbara ne peut plus feindre la réalité. Elle ne l'a jamais considéré comme un objet mais elle n'a pas su lui donner ce dont il avait besoin. Ses lèvres se pincent et les mots qui suivent ne sont que le reflet de ses envies.

— … Tu es libre de partir Lief. C'est mieux de te voir partir que mourir… Je ne supporterai pas que tu t'arraches la vie.

Il y a des choses qu'elle ne peut pas contrôler ô combien est-elle forte. S'il désire sa mort, comment peut-elle le convaincre de vivre ? C'est impossible... Alors, autant lâcher prise. Ils ne sont pas acteurs d'une pièce de théâtre où l'amour permettra de résoudre tous leurs problèmes. La preuve en est, il était prêt à tout abandonner uniquement pour protéger sa famille. Celle-là même qui l'a traité comme un chien. Ah. Elle ne parvient même pas à en rire. Ça n'a rien d'amusant.

CIARAN

The truth will hurt you, you just have to find what's worth suffering for.

Le blessé et la peinée

La vie continuait. Les devoirs n’attendaient pas. Même s’il avait l’impression d’être déchiré de l’intérieur, même s’il avait l’impression que son cœur allait exploser, même s’il avait l’impression que son âme pouvait abandonner son corps à tout moment, Lief remplissait ses tâches journalières. Déambulant dans les couloirs tel un fantôme en peine, le visage aussi inexpressif qu’une statue, il s’occupait de tout puisque la maîtresse des lieux s’était enfermée à cause de son foutu mari stupide et indigne. Il n’avait pas abandonné son rôle de maître d’armes, il veillait à ce que les domestiques ne manquent de rien pour faire leur travail, et il avait même montrer aux soldats les nouvelles zones qu’ils devaient patrouiller à cause du Mithrilin.

À première vue, le duc était parfaitement fonctionnel. À première vue, il était aussi fiable et inébranlable que d’habitude. Sauf que ce n’était pas le cas. Tous ses devoirs, il était parvenu à les remplir dans un silence de mort. Lorsqu’il devait se déplacer dans le château, il allait du point A au point B sans pauses ou détours. Quand la fatigue le rattrapait, il allait dormir dans l’un des salons au hasard, se couchant sur le canapé. Il se faisait toujours réveiller par un serviteur surpris de retrouver son seigneur assoupi dans un tel endroit … Mais Lief n’osait pas retourner dans sa chambre. La dernière fois qu’il y était resté seul, ça avait failli mal finir. Il évitait ses quartiers autant qu’il évitait de s’approcher du bureau de Barbara.

Puis un jour, Arabelle (qui devait en avoir marre de la situation) demanda au grand Nyugard d’aller porter un plateau à la reine sous prétexte qu’elle avait trop mal pour faire le déplacement elle-même. La vieille servante avait toujours été très gentille avec lui, alors cela le déprimait d’apprendre que même elle croyait que c’était une bonne idée de l’envoyer à l’abattoir … M’fin, la domestique n’avait pas tort d’accélérer le processus. Peut-être que Barbara avait changé d’idée, peut-être qu’elle avait eu le temps de réfléchir et de réaliser que son loup ne lui servait plus à grand-chose et qu’elle devrait s’en débarrasser. Ce serait comme achever un animal qui souffrait trop.

Résigné, Lief accepta sa dernière tâche et apporta le plateau jusque devant la porte du bureau. Il resta planté là quelques secondes. Pas parce qu’il avait peur de rentrer, mais parce qu’il… n’était pas sûr comment faire sans tout renverser. Sa main droite était bandée et à peu près inutilisable depuis qu’il l’avait éclatée contre le mur de pierre, alors comment ouvrir la porte et tenir le plateau en même temps ?… Ah, pourquoi se faire chier. Il déposa sa livraison au sol, ouvrit la porte, reprit le plateau et pénétra enfin dans la pièce.

Une part en lui aurait espéré que la rose ne relève pas la tête, mais évidemment, elle remarqua sa présence. L’homme figea à mi-chemin entre la porte et sa femme. Il ne disait rien, ne laissait rien paraître, attendait un ordre quelconque. Son regard, cependant, trahissait son inquiétude puisqu’il tentait subtilement de voir l’état des jointures de sa reine. Il ne pouvait vraiment pas s’empêcher de penser à elle en priorité …

« … »

… Évidemment, Barbara ne pensait qu’à cette soirée. Évidemment, Barbara était désormais convaincue que son imbécile de mari était toujours à deux doigts de se tuer. Ce n’était pas tout à fait faux, mais ce n’était pas tout à fait vrai non plus. Lief s’approcha timidement du bureau et y déposa enfin le frugal repas. Normalement, il serait supposé d’y poser la tasse de café et l’assiette de pâtisseries, pas le plateau au complet. Cependant, le borgne n’était pas en état pour se concentrer sur des gestes aussi précis; il renverserait le contenu à coup sûr s’il tentait d’attraper la tasse … Des petites maladresses comme ça lui arrivaient encore lorsqu’il était épuisé ou inattentif. Le matin, par exemple, il ne pouvait s’empêcher de se cogner l’épaule droite contre le cadre de porte de la chambre … Il grommelait à chaque fois et il était à peu près certain que la scène amusait toujours Barbara.

Bien que présentement, ni l’un ni l’autre n’avaient envie de rire.

Le duc recula à nouveau jusqu’au centre de la pièce afin de pas empiéter dans la bulle de la duchesse. Peut-être qu’il aurait dû reculer jusqu’à la porte et fuir la confrontation en fait, mais non, mais non, il avait accepté son destin. Ou pas. En entendant les prochaines paroles de la Nyugard, une peine immensurable envahit aussitôt l’unique œil de son époux. M-M-M-Mais non ! Ce n’était pas un calvaire ! Ce n’était pas un calvaire ! Lief ouvrit la bouche pour protester … « … » … Mais aucun son n’en sortit. Sa voix était bloquée. Ce n’était pas la faute de Barbara ! Merde ! Barbara n’y était pour rien ! Pourquoi ses cordes vocales refusaient-elles de fonctionner ?!

« … Tu es libre de partir Lief. C'est mieux de te voir partir que mourir… Je ne supporterai pas que tu t'arraches la vie. »

Il eut l’impression de se faire gifler. Non … C’était bien pire que ça. Il eut l’impression de se faire poignarder, rouer de coups, battre jusqu’au sang. Il eut l’impression qu’on lui avait arraché le cœur de la poitrine. N’importe quoi d'autre serait moins douloureux que ces mots. "Ce n’est pas grave si je disparais. Ce serait peut-être mieux pour tout le monde." Deux petites phrases qui étaient souvent venues le hanter pendant toutes ces années. Et maintenant que c’était le moment, maintenant que c’était réel …

Lief refusait. Il ne voulait pas. Il ne voulait pas partir. Il ne voulait pas quitter la vie de Barbara. Il ne voulait vraiment pas !

Cette réalisation le frappa de plein fouet. Un frisson parcourut son corps tout entier alors que son œil abattu s’écarquilla. Il ignorait qui ou quoi le poussait sans cesse à vouloir disparaître, mais ce n’était pas lui. Ce n’était pas sa propre voix. Ce n’était pas ses envies personnelles.

Sa voix se débloqua.

« NON ! »

Son rythme cardiaque tout comme sa respiration s’étaient accélérés tandis que ses mains tremblaient de façon incontrôlable. « J-J-J-Je t’aime ! J’aime être avec toi ! T-Tu n’es pas un calvaire, tu ne seras jamais un calvaire ! » Déjà qu’il criait rarement, il parlait en plus très rapidement. « C-Ce soir-là, je … Tu … Tu ne m’écoutais pas, j-je ne savais plus quoi faire … J’avais peur de ce qui risquait de t’arriver, d-des conséquences que ça allait avoir sur toi, alors je … J’ai fait ce qui me semblait logique, je … On m’a toujours dit que je devais être prêt à mourir pour mon maître, alors je … Je croyais … J-Je ne pensais pas que … » Lief détourna la tête vers la gauche afin qu’elle ne voit que son cache-œil et non son regard désespéré. « Après, tu es partie et … Quand j’ai réalisé à quel point je t’avais blessée, je … C’était intolérable. J’ai voulu en finir, mais j-je n’ai pas pu parce que cela t’aurait rendue encore plus triste … Je suis d-désolé … Je suis désolé … Je ne recommencerai plus, je suis désolé, je suis désolé ! »

Il cacha le haut de son visage derrière sa main gauche. Sa respiration était tellement irrégulière qu’il se sentait obligé de respirer par la bouche pour ne pas étouffer. « J-J-Je t’aime, je suis heureux avec toi, mais je … P-Parfois, j’me dis qu-que je ne mérite pas tout ce bonheur, qu-que je vaux rien … J’ai rien dit p-parce que je pensais que c’était un sentiment légitime, mais j-je réalise e-enfin que non … M-Merde, c’est quoi mon problème ?! » Pourquoi ne pouvait-il pas être comme tout le monde ?! Pourquoi obligeait-il Barbara à vivre avec un quelqu’un d’aussi tordu ?! « Je n’peux pas … J-Je n’peux pas … J-J-Je n’peux pas … »

Lief sentit ses jambes défaillir. Il tomba à genoux comme si le poids qu’il avait porté toutes ces années était tout d’un coup beaucoup trop lourd pour lui. Le pilier inébranlable s’était finalement effondré alors qu’il se mit à rageusement frapper le plancher avec son poing… droit. Aïe. Mais la douleur était la preuve qu’il était en vie. Il était encore en vie. Il allait rester en vie. « Je n’peux pas !… Je n’veux pas vivre sans toi ! Et je n’veux pas tu vives sans moi ! J’m’en fous si c’est égoïste, je veux qu-qu’on reste ensemble pour toujours ! » Son front se colla contre le sol froid alors que son poing rageur continuait à malmener la surface. « J’veux rester avec toi, mais je n’sais pas comment- je n’sais pas comment vivre ! Je n’sais pas comment me voir comme tu me vois ! Je n’sais pas comment m’aimer comme tu m’aimes ! » Ce n’était plus juste la tristesse qui le noyait; la colère aussi. Une colère contre lui-même – et surtout contre les pensées négatives qui l’empêchaient d’atteindre son plein potentiel. D’ailleurs, son dernier cri leur était destiné : « JE VEUX JUSTE ME SENTIR DIGNE D’ÊTRE AIMÉ, EST-CE QUE C’EST TROP DEMANDÉ ?! »

KoalaVolant

The truth willhurt youyou just have to find what's worth suffering for.

C’est de loin l'une de ses meilleures décisions. Elle n'a pas agi selon ses envies. Elle a essayé de se mettre à la place de son mari afin de lui offrir une nouvelle voie, celle qu'il n'a jamais connue à cause de sa famille ; la liberté. S'il veut s'en aller, il a cette possibilité. Plus personne ne peut le retenir, il est libre de faire ses propres choix. Cela devrait lui permettre de ne plus envisager la mort aussi facilement. Puisque c'est pour elle qu'il voulait mourir, si elle n'est plus dans l'équation, le résultat sera différent.

Il pose le plateau, elle remarque sa main blessée sans comprendre comment il a pu se faire cela. Les entraînements se font avec des armes et non des coups de poing... Ce n'est pas le sujet. Elle le met sur la table, certaine d'avoir fait le bon choix. Pour lui c'est mieux...

Et Barbara s'est bien foutue le doigt dans l'œil en pensant avoir dit ce qu'il fallait. La réaction de Lief est tellement imprévisible qu'elle ne peut masquer sa surprise ainsi qu'un léger sursaut. Elle s'est bien ratée. A l'entendre, c'est la pire décision qu'elle a prise. Sauf que c'est celle qui lui permettra de ne pas répéter les mêmes erreurs alors pourquoi y est-il si fermement opposé…? Bien sûr qu'elle ne veut pas se séparer de lui, bien sûr qu'elle aimerait le garder à ses côtés mais en pensant de la sorte, elle n'a fait que le blesser. Elle a failli le conduire à la mort ! Son poing se referme sur la table, elle essaye de se contrôler parce que ses colères ont déjà détruit bien trop de personnes et que son mari n'y a pas échappé. Pourtant, elle ne peut pas être d'accord avec ce qu'il dit.

— Pour toi, ce qui est logique, c'est de perdre la vie ?! Quand t'aies-je demandé de te suicider ?! Je veux... que tu vives à mes côtés...! Je t'aime Lief... Mais à quoi servent ces sentiments s'ils ne peuvent t'arrêter ?..

A son tour, Barbara détourne le regard, incapable de le voir, lui qu'elle a tant brisé. A chaque pardon qu'il demande, son coeur se serre un peu plus. Il a vraiment voulu en finir. Pas qu'une fois. Qu'elle soit là ou pas ne l'empêchera pas d'agir. Comment peut-elle le retenir ? Les mots ne servent à rien, les sentiments non plus. Est-elle censée l'attacher afin qu'il ne puisse jamais attenter à sa propre vie ? Ou doit-elle agir comme lui, menacer de le suivre dans la mort pour qu'il y réfléchisse à deux fois, à l'avenir ?... Aucune de ses solutions ne lui plaît. Elle murmure, les dents serrées.

— … Comment pourrais-tu me soutenir si tu n'es plus là ? … Comment puis-je être sûre que tu tiendras parole…? Comment puis-je être heureuse en te sachant malheureux ?

Il n'en sait probablement rien. Tout comme elle. Deux adultes aussi perdus qu'au premier jour. Barbara quitte sa chaise, contourne le bureau et réduit l'écart qui les sépare pour le rejoindre, au sol. Sa main vient chercher la sienne pour l'arrêter. Qu'il cesse de se faire du mal. Quand c'est fait, elle passe ses bras autour de son corps pour lui offrir une étreinte. Elle ne cherche pas à le faire taire, elle ne l'empêche pas de s'exprimer. Elle l'écoute, le chérit.

— … Pourquoi…. Tu es essentiel à mes yeux mais tu ne l’es pas pour toi… Tu es irremplaçable... Quand vas-tu comprendre cela ? Que dois-je faire pour que tu prennes soin de ta vie...? As-tu besoin que je te rappelle ce que le mariage signifie ?

Elle l'inonde de questions sans s'en rendre compte. La duchesse n'a jamais été douée pour saisir le comportement de son entourage. Elle essaye de tout son être mais elle n'arrive pas à savoir s'il l'a un jour vu comme une femme plus que comme un maître. Ce n'est pas le serment qu'ils ont prêté. Ils ont fait voeu de fidélité, ensemble dans la vie comme dans la mort. Cette partie a dû lui échapper avec les années. Il ne peut en être autrement. Barbara inspire plus fortement pour se contenir. L'une de ses mains caresse ses cheveux pour essayer de l'apaiser alors qu'elle continue, doucement.

— Je ne sais pas comment te faire confiance à nouveau… J’ai peur Lief. Peur de te perdre la prochaine fois… Je ne peux pas imaginer un avenir sans toi… C'est impossible pour moi… Mais si t'éloigner te maintient en vie… Je pensais que ce serait un mal pour un bien... Je ne peux pas pardonner à ta famille, rien que d'y penser, je les déteste... Je les hais autant que je t'aime. Si quelqu'un te fait du mal, je me vengerai... C'est comme ça que je protège ma famille...

Cependant, il n'approuve pas sa façon de faire. Et c'est bien ça le problème. Elle ne sait pas comment elle va pouvoir vivre en fermant les yeux sur ce qu'ils ont fait à celui qu'elle aime le plus. Il hurle, elle se tait. Elle ne sait pas comment il pourrait être digne alors qu'il l'est déjà. Ses mains se referment sur son vêtement, son corps se serre contre le sien. Elle baisse la tête, l'appuie contre son torse et chuchote.

— … Ne peux-tu pas vivre pour moi plutôt que mourir pour moi ? Est-ce trop te demander...?

CIARAN

The truth will hurt you, you just have to find what's worth suffering for.

Le blessé et la peinée

Évidemment que Barbara était en colère ! Évidemment qu’elle trouvait les décisions de Lief complètement stupides ! Évidemment qu’elle regrettait de l’avoir marié ! Évidemment qu’elle lui posait plein de questions dont il ignorait la réponse parce qu’il était trop con ! Évidemment qu’elle ne lui faisait plus confiance ! Être fiable était l’une des seules qualités notables du loup, et maintenant il l’avait perdue. Fait chier. Les quelques points positifs qui lui restaient étaient, quoi, purement physiques ?

La douce rose essayait de l’atteindre en lui parlant le plus calmement possible, mais ses pensées étaient si entremêlées que tout ce qu’il pouvait faire était de crier ses ressentis tels qu’ils lui venaient. Il entendait les mots, il les comprenait, mais il était tout bonnement incapable de lui fournir un retour cohérent. Le mari avait à peine eu conscience que sa femme s’était déplacée jusqu’à lui; il n’avait même pas réalisé que les coups de poing avaient cessé et qu’il se trouvait dans les bras de sa reine. Son corps s’était laissé manipuler comme une peluche – ou une marionnette.

Lief le remarqua uniquement lorsque Barbara enfouit sa tête contre son torse. Elle devait sans aucun doute entendre le cœur de son duc battre dans sa poitrine. Peut-être un peu trop vite, peut-être un peu trop fort, mais au moins il battait. La reine chuchota et les épaules du loup s’affaissèrent. Tremblotant, il la serra à son tour dans ses bras, très, très fort. Il s’accrochait à elle comme si elle était sa bouée de sauvetage… ce qui était le cas en fait. « N-Ne me demande pas de partir … C-C’est comme me demander de mourir … » articula-t-il faiblement. Cela n’avait aucun rapport avec les deux dernières demandes de la Nyugard, or le cerveau du maître d’armes avait bloqué sur celle-ci.

Ugh, c’était horrible, il avait l’impression que plus rien ne fonctionnait dans son esprit … Il avait rarement ressenti autant d’émotions fortes d’un seul coup. C’était comme s’il était redevenu ce petit garçon inconsolable, et c’était terrifiant. Il pensait s’en être sorti pourtant. Il avait vraiment cru s’en être sorti pour de bon, mais on dirait bien que non. Sa vie entière était un mensonge ou quoi ? Lief ferma son œil et se tut, se contentant de garder Barbara contre lui. Il avait paniqué, il s’était effondré, mais il devait absolument se ressaisir. Il aurait préféré être celui qui consolait la rose, mais c’était plutôt elle qui tentait maladroitement de le rassurer alors que tout était de la faute du loup … Et par-dessus le marché, il avait la tête qui tournait à cause de sa respiration superficielle !

Ce serait pathétique de perdre connaissance comme ça, alors le duc se concentra et essaya de respirer plus profondément. Peut-être que la duchesse sentait la poitrine de son mari se soulever dans un rythme de plus en plus régulier. Par contre, si elle avait pour idée de se décoller, les bras de son homme resserraient leur emprise afin de l’empêcher de reculer. Comme s’il craignait qu’elle disparaisse pour toujours si elle ne restait pas dans ses bras, ou comme si c’était lui qui risquait de disparaître sans elle.

Cela prit plusieurs longues minutes avant que Lief ne se calme enfin et remette de l’ordre dans ses idées. « … » Il devait trouver des solutions; n’était-ce pas ce qu’il faisait toujours ? Par exemple, il allait devoir trouver une façon de se venger des Gunnulf qui conviendra autant à lui qu’à sa femme, or il y avait plus urgent à régler comme problématique. Il devait trouver une façon de ne pas perdre sa femme … Et pour ce faire, il devait trouver une façon de ne pas perdre la vie.

… Maintenant que son esprit s’était suffisamment éclairci, le loup avait la nette impression que lui et sa reine n’étaient pas du tout sur la même longueur d’onde, et ce sur plusieurs sujets. Des choses qui semblaient évidentes et naturelles pour l’un étaient surprenantes et effroyables pour l’autre … Probablement parce qu’ils n’en avaient jamais vraiment discuté ensemble. Ah. C’était bête quand même. « … Barbara … » souffla-t-il. Sa voix ne tremblait plus. Il rouvrit l’œil et baissa la tête vers son épouse. La souffrance était toujours présente dans son regard, mais au moins, ses traits n’étaient plus tordus par la douleur … Il relâcha même son emprise pour la laisser reculer si elle le souhaitait, bien qu’il préférerait la tenir encore un peu.

« … Tu réalises que si tes parents m’ont choisi pour te marier, c’était pour que tu aies un fidèle chien de garde et non un mari ?… » Pour quelle autre raison tordue auraient-ils accepté un Gunnulf pour leur fille sinon ? « Tu réalises que c’était aussi ce que mes parents me répétaient tous les jours ?… Tu réalises que tu étais probablement la seule personne à nous voir comme des égaux lors de notre mariage ?… »

Ah, le jour de leur mariage … Cela avait été extrêmement stressant et intimidant; tant de personnes importantes qui avaient eu les yeux rivés sur lui, un simple chiot handicapé. Il se souvenait qu’au début de la journée, la pression ressentie était si forte qu’il n’avait pas été certain de pouvoir y arriver sans faire une gaffe et tout gâcher … Il se souvenait aussi que tous ses doutes et ses peurs s’étaient volatilisés dès qu’il avait posé le regard sur sa fiancée et très bientôt femme. Il ne voyait plus qu’elle, ne pensait plus qu’à elle, et il avait ressenti un bonheur indescriptible pour le restant de la journée.

« … Et tu es probablement encore la seule personne à nous voir ainsi … Tu m’as toujours très bien traité et je t’en suis… infiniment reconnaissant. Je sais que je serais mort depuis longtemps sans ta présence à mes côtés … Tu n’as rien fait de mal Barbara, » assura-t-il en caressant la joue de sa rose avec le dos de sa main gauche. « Même si … »

Évidemment, il y avait un "mais", car sinon, il n’y aurait pas de problème. Car sinon, il n’aurait aucune raison de se sentir aussi inférieur, n’est-ce pas ? Lief hésita … Ou plutôt, il cherchait les bons mots, il essayait de trouver un moyen d’expliquer son conflit intérieur de façon à ce que même une fière Nyugard puisse comprendre.

« … Puisque que tu es la seule personne à me voir comme un être humain, je me suis toujours dit que c’est toi qui es… bizarre. Que c’est toi qui as tort et que les autres ont raison. J’veux dire, si la majorité me dit que je devrais disparaître, c’est qu’il doit y avoir une bonne raison … Mais je ne suis pas heureux quand je les écoute. Je suis heureux quand je t’écoute toi. Mais c’est difficile de t’entendre parfois parce qu’ils sont tellement… bruyants. Quand ta voix me dit quelque chose, il y en a dix autres qui me hurlent le contraire … Je… Je n’sais pas comment l’expliquer … »

Le duc essayait d’imager comme il pouvait, mais peut-être passait-il pour un taré qui entendait littéralement des voix dans sa tête … Ce n’était pas le cas bien sûr; il ignorait juste comment faire comprendre à l’indéfectible duchesse comment on se sentait lorsque chaque tentative pour s’élever était découragée, interdite, punie par son propre esprit. Mais … Peut-être que … Peut-être qu’il devrait faire comme le jour de leur mariage en fait ! S’il parvenait à regarder uniquement ce qui était important et le rendait heureux – c’est-à-dire Barbara – alors peut-être … Peut-être qu’il parviendra enfin à chasser tout le gris et à ne garder que le rose ! Ah, la reine avait bien fait de mentionner leur mariage. Elle était une femme très intelligente. La preuve qu’elle soutenait toujours son mari, même sans s’en rendre compte !

« … Ce dont je suis sûr, c’est que j’en ai marre de souffrir. Si je dois vivre, j’aimerais que ce soit dans le bonheur, alors je … J’aimerais bien me concentrer uniquement sur ta voix cette fois, » proposa-t-il tout bas en abaissant sa main. « C-Ce n’est pas grave si tu ne me fais plus confiance, j-je comprends. Je… vais juste devoir travailler encore plus fort. Pour toi… et… et pour moi aussi … Je… Je sais que mon bonheur est avec toi, Barbara. Je sais qu’il peut juste être avec toi. J-Je veux vivre. Pour toi et avec toi. » Ah, merde. Lief sentait une nouvelle vague d’émotions approcher et prête à le submerger. Ses muscles se tendirent alors que sa gorge se serra de nouveau. « J-Je n’veux plus jamais qu’on revive une telle soirée … C-C-C’était vraiment horrible … J-Je n’veux pas que tu aies peur … Je … Je … » C’était douloureux – pas autant que sa main droite mais quand même. Le loup n’était pas parvenu à garder son sang-froid jusqu’au bout finalement, mais il espérait avoir été un minimum clair dans ses explications … Ce n’était pas facile de mettre des mots sur des sentiments que lui-même comprenait à peine.

KoalaVolant

The truth willhurt youyou just have to find what's worth suffering for.

Bien sûr que non, elle n'est pas en colère. Bien sûr que non, elle ne le trouve pas stupide et elle ne veut pas s'en séparer... Du moins, pas maintenant qu'elle sait que cette décision lui causerait plus de mal que de bien. S'il ne se sent pas emprisonné avec elle, s'il n'étouffe pas, cela veut dire qu'elle est complètement à côté de la plaque. Elle n'a rien compris. Et elle n'est pas plus avancée que ça. Elle n'a pas agi pour lui mais contre lui puisque cette phrase censée le libérer l'a fait souffrir au point que sa douleur est palpable dans l'air. Il est plus tourmenté que jamais. Par sa faute.

Ses mains ne le lâchent pas, sa tête contre son torse, elle entend son cœur qui bat à tout rompre. Le rythme rapide l'inquiète, il la serre et elle s'agrippe à lui pour lui montrer qu'elle est là. Il a toujours été là pour elle. Elle ne va pas fuir une étreinte. Pas alors qu'il en a besoin. Et qu'elle en a envie. Elle ne déteste pas ce qu'il lui offre. Le moindre de ses contacts réchauffe son corps si froid... Elle ne peut plus le frapper à tort et à travers sachant ce qu'il a vécu. Ce n'est pas une façon de faire. La violence ne résout pas tout contrairement à ce qu'elle a appris de ses parents. Lorsqu'elle réalise sa méprise, elle ne peut que s'en vouloir. Elle relève la tête vers lui, si brisé. Sa peine se reflète dans ses yeux écarlates si expressifs aujourd'hui.

— Je ne peux pas avancer sans toi. Mais je préférerais cette option si elle te gardait en vie. Sans penser qu'elle te tuerait…

Barbara frotte doucement l'une de ses mains sur son dos afin d'essayer de le consoler avec maladresse. Leur fils n'a jamais eu trop de crises de larmes et jusqu'ici, son mari était inébranlable. Et c'est elle qui l'a mis dans cet état... Elle le garde contre elle autant qu'il le faut, les lèvres serrées de remords. Lorsqu'il souffle son prénom, elle reporte son attention vers lui, déplace ses bras afin de pouvoir glisser ses mains sur son visage et se redresser à son niveau. Comme des égaux. Parce qu'en dépit de l'avis des autres, pour elle, il a toujours été à la hauteur.

— Je ne l'avais jamais réalisé. J'étais beaucoup trop focalisée… sur mon objectif… Je ne t'ai pas prêté attention. Pas suffisamment… Je ne savais pas que tu étais traité ainsi. Non… Je n'ai jamais cherché à le savoir…

Sa tête se détourne, elle inspire profondément, retient son souffle pour ne pas craquer. Elle a honte. Ça ne lui ressemble pas. La reine est de glace, elle n'a pas de cœur, elle piétine tout le monde. Elle n'obéit à rien, n'a pas de regret, pas de pitié… Alors pourquoi son cœur se gonfle d'émotions, pourquoi sa vue se brouille, pourquoi elle se sent si faible et pourquoi s'en veut-elle autant ? Les yeux clos, quelques larmes s'échappent. Elle n'a jamais pleuré pour personne. A part lui.

— … Je t'ai fait du mal Lief…

La caresse de sa main la fait relever la tête. Ses prunelles restent fermées pour savourer ce contact. Puis, Barbara l'observe, essaye de comprendre ce qu'il vit. Elle n'a jamais entendu de domestiques parler en mal de lui. Elle leur aurait coupé elle-même la tête et n'en aurait épargné aucun. Il n'a que des éloges de la part des soldats et des femmes qui rôdent. Alors d'où vient cette insécurité permanente ? De cette famille qu'il lui a interdit de massacrer. Tch. Si seulement elle pouvait se faufiler hors du château pour aller gentiment à leur rencontre et leur donner une bonne leçon... Ce serait une excellente solution s'il partageait son avis. Et ce n'est pas le cas.

Cela ne l'empêche pas de menacer comme elle sait si bien le faire.

— Je tuerai tous ceux qui te disent de disparaître. Je ferai taire ces voix qui te hantent.

Elle essuie ses cils humides, grogne contre ses larmes qui glissent sur ses joues, conséquence de sa peur de le perdre.

— Je ne veux plus que ça arrive. Restes avec moi. Jusqu'à la fin.

CIARAN

Les Chroniques d'Elysia

Izar de l'An 1

Les scénarios

[Privé] The truth will hurt you, you just have to find what's worth suffering for. {Lief

The truth will hurt you, you just have to find what's worth suffering for.

Le blessé et la peinée

The truth will hurt you, you just have to find what's worth suffering for.

Le blessé et la peinée