Les Chroniques d'Elysia

De piété et d'eau de pluie

feat. Bai Min

─ Thor ! Thor non, s'il te plaît, pose-le !

s'écrie Stolas, tout en pourchassant son cheval.

D'humeur à jouer, Thorongil tenait entre ses dents un long manteau d'hiver bordé d'un col de fourrure et le traînait à même le sol, son propriétaire à ses trousses. Entre un homme et un équidé, le défi était toutefois quelque peu déloyal. Une idée en tête, Stolas s'arrêta alors soudainement tandis que son cheval ralentit son pas de course avant de faire halte; revenant sur ses pas, vers sa besace posée contre le tronc d'un arbre, le jeune homme y plongea sa main avant d'en ressortir une pomme sublimée par sa couleur rouge.

─ Très bien… Je me la réservais pour plus tard, mais puisque monsieur refuse de me rendre mon manteau… Que dis-tu donc d'un troc, hein ?

l'interroge-t-il tout en tendant le fruit vers sa monture.

Regarde cette jolie pomme qui n'attend que toi.

Au repos et les yeux rivés sur son maître, Thorongil détourna la tête, le manteau toujours coincé entre ses dents; il jaugeait la situation, se demandait s'il devait accepter l'échange ou non. Insistant pour que ses efforts paient, son propriétaire agitait la pomme dans sa main tout en claquant la langue, comme pour l'inciter à s'approcher. Et finalement, il lâcha le vêtement pour se diriger vers sa juteuse convoitise.

─ Bien, ça c'est un bon cheval

, déclare Stolas en lui caressant le chanfrein pendant qu'il se délecte de sa friandise.

Enfin, il s'avança pour récupérer son bien qu'il secoua frénétiquement, avant de l'épousseter et de retirer les quelques feuilles logées à même la douce fourrure. Le moment était mal choisi pour esquinter son cher manteau d'hiver, lui qui faisait route vers North Odin; une rumeur avait éveillé sa curiosité, selon laquelle une créature semait la terreur au cœur des terres enneigées du Domaine. Si ces dires s'avéraient vrais, alors il était fort possible qu'un contrat plane au-dessus de cette bête; une mission qui paierait assurément une petite fortune, et le mercenaire comptait bien se l'accaparer.

***
Voilà quelques heures que Stolas avait repris la route, sous un ciel nuageux et menaçant. De fines gouttelettes en tombaient, tandis que des tons gris s'élevaient au loin, signe d'une dépression en approche. « C'est bien ma veine » pensa-t-il tout en recouvrant son manteau ―soigneusement calé sur la croupe de son cheval― d'une couverture.
Il ne fallut que quelques courts instants avant que les légères gouttes ne s'épaississent, résultant en une pluie qui s'intensifiait un peu plus à chaque minute qui passait. Par réflexe, le mercenaire rabattit sa capuche sur le haut de son crâne et donna quelques coups de talons à son cheval pour passer au trot; redoutant une pluie torrentielle en devenir, il se devait de trouver un abri, et vite.

Plus loin, un grand bâtiment commençait à se dessiner tandis que la dépression s'annonçait particulièrement venteuse. Du trot, Stolas passa alors au galop, peu désireux de rester sous cette flotte plus longtemps que nécessaire.
L'entrée d'un temple l'accueillait à bras ouvert sous son toit, duquel s'égouttait à profusion l'eau de pluie. Pied à terre une fois abrité, Stolas tira son cheval un peu plus en avant; il s'avança sur sa gauche pour desserrer la sangle de sa selle de quelques boucles, afin de le laisser mieux respirer. S'il fallait attendre que la pluie ne se calme, alors mieux valait ménager Thorongil durant cette pause impromptue. Rabattant sa capuche en arrière, le mercenaire secoua la tête pour se débarrasser de l'eau qui avait imprégné ses cheveux.

─ Et merde...

chuchote-t-il pour lui-même.

Le temps jouait contre lui, sous toutes ses formes. Il espérait, oui. Il espérait que cet arrêt soudain n'allait pas lui coûter ce contrat du Domaine, qu'il lorgnait depuis l'Empire.

« halloween »

il est à genoux
les mains proprement repliées sur soi, les doigts élégamment entrelacés
il a le regard vide, les lèvres étirées en une mince ligne droite,
le masque est relevé (son masque est tombé)
il n’y a pas âme qui vive à cette heure-ci en ces lieux
temple sacré profané par sa seule présence

il regarde
la statue de la déesse
il la maudit la déteste
l’exècre
et ce sont dans ces moments de silence
à l’ombre des regards
qu’il se moque peut-être un peu secrètement, silencieusement.

ah, la déesse
le voit-elle?
voit-elle
son mépris
comment se sent-elle de savoir avoir
un traître à ses rangs un traître à son sang
dissimulé parmi les fidèles ceux qu’on dit les plus fervents
il espère que ça l’insulte
c’est sa vengeance
à la pauvre poupée abandonnée qui n’a cessé d’appeler à l’aide sans que
jamais
sa voix à lui
elle ne soit
entendue.

s’il tendait la main, laissait ses doigts s’imprégner du vent
pourrait-il renverser la statue?
il pourrait prétexter un accident lui qui prétend
tout le temps.
bai ne redoute rien et encore moins les déesses désintéressées et leurs prétendus châtiments
il a subi toute une vie alors
un péché de plus (un péché de
moins….)

il a cherché tant de fois à se faire pardonner d’elle, qu’on l’excuse de porter
le fardeau d’exister
lui qui aurait pu être sa plus belle création tout de blanc vêtu, blanc de la tête aux pieds blanc blanc
blanc
blanc mais pas comme neige.

il y a le son de la pluie qui résonne en ces murs
qui l’insupporte plus que d’habitude
la solitude il l’a toujours bien géré mais ce sont des jours comme celui-ci
où ça lui pèse, le poids de ses propres pensées, ses péchés passés et futurs.

il a les sens aiguisés, pour compenser la vision défectueuse
il a toujours les oreilles qui traînent, grandes ouvertes
ça ne lui échappe pas, le bruit à l’entrée.
et sans un mot, il replace le masque sur le bout de son nez, ajuste le voile rabattu sur sa chevelure blanche
le son de ses pas est silencieux, bai il est si effacé qu’on le voit rarement venir, petit fantôme de passage
c’est comme s’il le faisait exprès, qu’on fasse en sorte que l’on l’oublie,
la plante verte au fond de la pièce qui ne rêve plus du soleil depuis déjà trop trop
longtemps.

« bonjour..? »

il surgit derrière l’homme, étire le cou tandis qu’il s’approche
secrètement ennuyé à l’idée de devoir peut-être réconforter une âme en peine à cette heure-ci, car les gens, il lui semble, ne viennent que pour ça, implorer la bonté de la déesse qu’on leur offre un peu de courage, un peu de force pour continuer.

« ..OH!! »

en voyant le cheval à ses côtés, bai ne peut retenir une exclamation sincère de surprise
il faut dire qu’il est rare de recevoir la visite d’un cheval au temple.

« il a un nom? il est très beau… quelle charmante créature… je.. je peux le toucher? »

bai est loin d’être l’innocence incarnée, mais pourtant il a toujours eu cet émerveillement enfantin pour les bêtes, une empathie pour elles qu’il ne sait pas comment étendre aux humains.

de piété

et d’eau de pluie

D

elirose

de piété et d'eau de pluie

feat. Bai Min

La pluie battante ne semblait aucunement prête à cesser. L'eau coulait à flot, tandis que Thorongil s'ébroua soudainement, tapant le sol d'un coup de sabot. Le doux son du tonnerre se fit entendre dans les cieux, alors que les nuages gris cédaient progressivement place à des tons plus sombres encore, si bien que l'éclairage de quelques torches ne serait pas de trop. Un long soupir s'extirpa d'entre les lèvres du mercenaire, qui tourna vivement la tête lorsqu'il entendit une voix s'élever dans son dos, le saluant cordialement avant de s'écrier face au cheval. Sa curiosité visiblement piquée, le nouvel arrivant s'enquit soudainement au sujet de l'animal, cherchant à connaître son nom, à se rapprocher pour aller à son contact, non sans la permission du propriétaire.

─ Il se nomme Thorongil

, dit-il simplement avant de reprendre place aux côtés de ce dernier pour refermer ses doigts sur les rênes.

À vrai dire il se méfie beaucoup des étrangers… Mais allez-y, il ne réagira pas au quart de tour si je me tiens juste à côté

, ajoute-t-il enfin, tout en caressant l'encolure de son fidèle destrier.

Il était vrai. Thorongil avait une totale confiance en Stolas, qui l'avait sorti d'un bourbier sans nom alors qu'il n'avait tout juste qu'un an. Son histoire, jamais il ne l'oublierait. Jamais il n'oublierait la vision d'horreur qu'était celle d'un pauvre cheval victime de malnutrition et d'autres nombreux mauvais traitements, laissé aux mains d'un vieux ignare qui s'étonnait de l'état de mauvaise santé de son bétail. Ses terres asséchées par des vents secs, le puits en manque d'eau, la nourriture se faisant rare, les lieux n'étaient guère propice à un quelconque élevage. Et Stolas ne considérait guère sa venue comme fortuite. Toujours se disait-il que la Déesse avait potentiellement expressément mis Thorongil sur son chemin afin de le sauver, même s'il n'était nullement pieux, et encore moins dévoué envers elle.

Perdu dans le fil de ses pensées, il fut soudainement interrompu lorsqu'un éclair jaillit au cœur de ces sombres nuages. Le ciel grondait, au plus grand dam de Stolas qui lâcha un énième soupir.
Son regard se posa alors sur l'étranger. À en juger par ce qu'il portait et le fait qu'il venait de l'intérieur du temple, le jeune homme en déduisit qu'il avait affaire à un prêtre. Très vite, il reprit alors la parole.

─ Navré de faire soudainement irruption sous votre toit, mon Père. Comme vous pouvez le constater, le temps n'est pas vraiment propice au voyage, j'ai été contraint de faire halte ici…

dit-il sur un ton calme.

Je serai parti dès que la pluie aura cessé et que les routes seront de nouveau praticables.

« En espérant que cela ne prenne pas trop longtemps » s'était-il garder d'ajouter. Non seulement essayait-il de mettre la main sur un certain contrat, mais il n'avait également aucune envie de perdurer en des lieux où la piété était de mise. L'inconfort que cela évoquait pour lui n'avait d'égal que son aversion pour le genre humain. Fouler ce sol sacré revenait à marcher sur des pierres enflammées pour ce mercenaire aux croyances blasphématoires.
Peu désireux d'entamer une conversation religieuse, il se mit alors en tête de se concentrer à nouveau sur son cher compagnon de route, Thorongil. Après tout, le prêtre semblait particulièrement intéressé par l'animal.

─ Vous semblez beaucoup aimer les animaux, je me trompe ?

l'interroge-t-il, tout en passant une main délicate sur le chanfrein de son cheval.

« halloween »

le tonnerre déchire le silence, au travers des gouttes de pluie qui éclatent contre le sol,
au loin, un éclair fend les cieux en deux.

« thorongil… » il murmure pour lui-même, l’animal lui arrache un sourire un peu malgré lui « un joli nom pour une créature majestueuse. »
doucement, avec l’accord de son maître, il lève la main en sa direction,
lentement,
comme pour lui montrer qu’il ne comptait pas lui faire du mal,
qu’il n’avait pas l’intention de provoquer la peur en l’animal.

« ce n’est rien. je suis certain que la déesse serait heureuse d’offrir refuge à quiconque en aurait besoin. humain comme animal. »

les sons, au loin, qui résonnent, ne semblent en aucun cas le perturber,
pas plus que la pénombre grandissante, l’amalgame de gros nuages gris et gorgés de pluie.

« oui. je les adore. » sous le masque, les yeux se plissent avec une bienveillance pour une fois sincère. « dans un sens, ils sont bien mieux que vous et moi. ils n’ont pas les défauts que les hommes peuvent avoir. » la main effleure tendrement la crinière de l’équidé. « avez-vous déjà été déçu, par un animal? moi jamais. par les hommes? oui. c’est la nature humaine, j’imagine. nous sommes des êtres imparfaits. nous sommes, décevants, par défaut. » impurs, qu’il se retient de dire.

le regard masqué cherche à croiser celui de l'animal, avant qu'il ne se recule, les mains humblement repliées devant lui, en attente de la suite.
après quelques secondes, et pour la toute première fois en quelques minutes, il se tourne enfin vers l’homme.

« sans vouloir vous choquer, bien sûr. » pour beaucoup, il serait blasphématoire de condamner ainsi les hommes. mais bai est un prêtre de pacotille; ça ne lui fait rien « seulement.. il n’existe, ni bien, ni mal pour eux. ils sont. tout simplement. ils ont une personnalité qui leur sont propres, mais ils ne peuvent être mauvais par nature. s’ils blessent, c’est la survie ancrée dans leurs instincts, qui parle. et lorsqu’ils font confiance, ils offrent leur loyauté sans compter, sans que jamais, la trahison n’effleure leur esprit. ils sont plus purs que les hommes ne le seront jamais, je le crains. »

il y a ce sérieux, dans sa voix
il n'est ni poupée fragile de porcelaine
ni monstre sans cœur
il est bai, le coeur meurtri par les hommes, ni bon ni mauvais à cet instant.

de piété

et d’eau de pluie

D

elirose

Les Chroniques d'Elysia

Izar de l'An 1

Les scénarios

[Privé] De piété et d'eau de pluie — feat. Bai

De piété et d'eau de pluie

feat. Bai Min

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feat. Bai Min