Oh, Sehrazad, si tu savais comme tu me manques.

Il ne s'écoule pas un jour sans que ses pensées n'aillent vers elle. Sehrazad lui manque terriblement. Lannah serre sa lettre contre sa poitrine et ferme ses paupières. Les mots de son amie apaisent ses plaies. C'est ce qu'elle a toujours voulu entendre. Pourtant, elle ne se sent pas méritante pour autant. Sehrazad a souffert par sa faute, elle a été réellement blessée par son comportement. Lannah le réalise encore une fois. Ses excuses même répétées n'apaiseront pas sa culpabilité. Tout ce qu'elle peut faire, c'est de tenir sa promesse. Une fois fait, elle pourra réapparaître devant ses yeux.

Cependant, maintenant, c'est trop tôt. Elle n'a pas encore atteint son but : celui de redorer l'image de la Borgia. Elle vient à peine de commencer. C'est pourquoi elle ne lui a pas répondu. Parce qu'elle ne sait pas quoi écrire. Elle ne peut pas la voir mais elle ne peut pas le lui dire. Les mots blessent et elle ne veut plus blesser. Elle a décidé de se battre pour elle. Grâce à un certain Gobelin qui l'a guidé dans l'obscurité et lui a permis de prendre son avenir en main. De cesser de s'apitoyer sur son sort.

Et son point de départ est le Fief dans lequel elle a vu le jour. Elle ralliera chaque habitant avant de changer de Fief et à la fin, l'intégralité du Royaume clamera haut et fort son amour pour son amie. Ça arrivera. Elle fera tout pour.


Lannah arrête son mouvement, sa jambe en suspens dans l'air. Elle aurait pu passer sa route mais, à l'approche d'une échoppe, quelques paroles en l'air ont attiré son attention. Ce ne sont que des hommes, ils sont grands, ce sont des adultes. Mince, ils lui font peur... Non ! Elle ne laissera plus la peur dicter ses actes ! Quand il faut y aller, il faut y aller ! C'est maintenant qu'elle va commencer ! Vêtue de sa jolie robe de lin, une longue cape beige la protège des coups de soleil et un turban lui sert d'écharpe, Lannah ondule entre les masses jusqu'à taper du pied en s'écriant.


L'éclat de voix surprend. Les hommes regardent cette petite fille qui s'égosille, un peu surpris. Ils devraient avoir honte de travailler sur le Fief de Borgia et ne pas respecter l'héritière de la famille ! Ça l'énerve ! Mais ce n'est pas la colère qu'elle doit répandre, c'est l'amour. Ses mains s'appuient sur le stand de fruits et légumes, elle interrompt le commerce entre habitués et marchands. Son regard brille de sincérité. Elle parle encore et encore et ne se laisse pas décontenancer.


Elle a promis à Sehrazad. Elle compte bien tenir parole. Lannah joint ses mains contre sa poitrine et ferme ses paupières.


En rouvrant ses paupières, ses yeux dorés croisent ceux rosés d'une certaine personne qu'elle reconnaît immédiatement. La bouche entrouverte, Lannah s'immobilise. Ses bras retombent le long de son corps. Plusieurs émotions passent dans son regard, plusieurs images se glissent dans son esprit.

La joie de leur rencontre, celle de deux fillettes qui grandissent dans l'amour. Le bonheur de la voir grandir, celle de voir son amour se concrétiser et de la savoir heureuse et entourer. L'amertume de ne plus la voir, celle d'être seule dans son atelier, à espérer des nouvelles qui se font rares. L'horreur de ce qu'elle a commis, ce jour où elle a fauté d'une façon si odieuse qu'elle ne peut se pardonner.

Ses lèvres tremblent, les larmes lui montent aux yeux, sa respiration s'accentue et une expression terrifiée remplace celle d'espoir.

Elle ne doit pas fuir.  Elle ne doit pas fuir. Elle ne doit pas fuir. Elle ne doit pas fuir. Elle ne doit pas fuir. Elle ne doit pas fuir. Elle ne doit pas fuir. Elle ne doit pas fuir. Elle ne doit pas f-.

C'est le vide dans son esprit, ses membres sont flageolants et elle recule de quelques pas, quitte la foule qui a repris ses activités. Elle ne fuit pas, elle s'éloigne à peine de quelques pas avant que ses jambes se dérobent et qu'elle s'échoue sur le sable. Lannah attrape son turban qu'elle enroule autour de sa tête pour cacher son visage, masquer sa laideur. Comme si cela suffisait pour effacer son crime.

Qu'elle est moche, qu'elle est pourrie.


Son regard a remarqué ce détail. Plus que le reste. C'est son état de santé qui retient son attention. C'est ce qui lui permet de contrôler ses émotions, d'essayer de tenir un peu.


Ah. Mince. Les larmes commencent à couler. Elle se mord la lèvre inférieure, cache ce qu'il reste de son visage visible sous ses mains et murmure.