Un peu plus d'un mois s'est écoulé depuis la punition infligée par ton père. Tu n'as pas entièrement cicatrisé, car les coups de fouets ont été dévastateurs néanmoins, tu peux te mouvoir et te battre au moins un minimum. Ce soir, tu dois te présenter à Eun-Ji et à son père l'empereur, pas par choix encore une fois, mais par obligation ; fidèle à ta patrie, il s'agit également d'un honneur, mais comment considérer tout ceci comme un honneur quand tu sais l'humiliation violente que tu as subie.

Alors tu y vas, paré d'un somptueux hanbok noir aux motifs dorés, une couleur qui est finalement celle que l'on ne retrouve pas bien souvent dans le milieu de la noblesse, car tout noble qui se respecte aime se démarquer par les parures les plus colorés et les plus précieuses. Finalement, tu te démarques parce que tu ne brille pas d'un rouge vif ou d'un vert émeraude, élégant, mais sobre, ta prestance est tapie dans l'ombre, car tu es ce perpétuel paradoxe, obscur mage de lumière. Tu coiffes ta longue chevelure dorée d'un chignon parfaitement ajusté, tu l'ornes d'une somptueuse parure avant de planter une baguette décorative en son centre, puis tu noues un bandeau noir autour de ton front, terminant par des boucles d'oreilles aux formes arabesques.



Du peu que tu sais, la future impératrice est capricieuse, elle aime faire attendre son monde ou tout simplement ne pas y prêter attention. Elle est ton opposée par excellence, vous avez eu la même éducation, mais toi, tu n'as pas pu te rebeller ni te dérober à tes obligations.

Alors que tu patientes dans une salle aux décors somptueux, la jeune femme n'est toujours pas là et si tes confrères font leur possible pour attirer le regard du souverain, paradant, bombant le torse ou encore en énumérant leurs faits d'armes, à tes yeux ridicules. Toi, tu te tiens dans le fond de la pièce, dans l'ombre les bras croisés comme si tu méditais ; il est même probable que l'on ne remarque pas ta présence et c'est l'idée. Un garde doit se faire discret, il ne doit pas attirer l'attention, ni même encombrer de sa présence celui ou ceux qu'il doit protéger.

Tu tournes la tête, tes prunelles se perdent dehors, vers les jardins fleuris et sempiternels de cette demeure "sacrée". Tu fronces les sourcils lorsque tu aperçois la demoiselle que vous attendiez tant s'éclipser en douce. Voilà donc la raison de son absence, elle ne vous accorde tout simplement aucune forme de respect. Rien de bien exceptionnel chez les nobles n'est-ce pas ? C'est tout aussi discrètement que tu te retires de la salle, jurant presque avec les meubles que l'on ne voit plus tant on est habitués à les avoir dans son champ de vision.

Tu ne presses pas le pas, il te fallait simplement intercepter la petite capricieuse avant qu'elle ne quitte la résidence. Peut-être que tu aurais dû y aller plus vite, car c'est évidemment à ce moment là qu'il fallait qu'elle se fasse enlever ; tu n'as rien vu, car si toi tu prenais ton temps, persuadé d'arriver à temps pour lui barrer la route ; ce n'est pas le cas de ses ravisseurs. Il n'y a plus rien, si ce n'est la pénombre inhabituelle de l'allée principale et une broche lui appartenant sans doute. Inutile de prévenir les autres ou encore son père ; s'ils occupaient leur rôle correctement, ça ne serait pas arrivé. Céder à la panique ou encore l'angoisse, tu ne sais pas le faire, alors c'est avec un calme déconcertant et un sang-froid sans pareil que tu pistes sa trace. Ce sont des brigands inexpérimentés à en juger par leur façon de faire, à croire qu'ils voulaient être retrouvés... Soit, tu exaucerait leur souhait avant de les condamner à mort.

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Les sentinelles disposées ici et là ne te repèrent pas, tu sais percer les défenses frontalement ou dans le dos. Ce sont des malfrats de bas étage que tu supprimes un à un. Ton sabre tranche en divers points, les mouvements de tissus qui s'agitent derrière toi donne l'impression que tu ne fais qu'un avec l'air, que tu flottes et que tes pieds ne touchent le sol que très rarement. La vérité, c'est que tu as appris à ne faire qu'un avec ton environnement lorsque tu dois te battre, l'expérience ta forgé à l'image de dame nature. L'obscurité est ton véritable élément, tu t'y sens chez toi et à ta place, c'est avec elle que tu atteins le sommet de ta puissance, ta lame tranche des têtes, se plantent dans des cœurs ou s'abat sur des visages pour les séparer en deux ; c'est un massacre et pour autant, tu ne portes pas une seule goutte de sang sur ton corps.

C'est ainsi épargné par le liquide érubescent que tu as fait couler, que tu te présentes face à cette cabane où tu perçois des cris de détresse. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre de qui ils étaient, même étouffés. Tu ne sous-estimes pas l'adversaire au point de te contenter de passer par la porte d'entrée, tu montes sans mal sur le toit, la sentinelle avait tenté de t'arrêter ; tu as retourné son sabre contre elle, l'obligeant à s'empaler dessus. Le cadavre retombe sur le sol, lourdement et c'est volontaire, car tu pousses l'un des ravisseurs à sortir en beuglant comme un fou. On ne pense jamais à regarder au-dessus, c'est ce qui causera sa perte, car tu fonds sur lui depuis les cieux, ta lame transperce son crâne et lorsque tu la retire, tu en lave le sang impur d'un mouvement sec du bras, laissant une traînée de carmin formant un croissant de lune éclaté sur le sol.

Tu n'es pas le genre à beaucoup discuter, alors les questions, tu les ignores ; tout comme tu ignores les insultes ou autres provocations. Trois d'entre eux se ruent sur toi, tu pivotes agilement tailladant l'estomac de l'un, tout en égorgeant le second ; le troisième, tu balafres son visage en reprenant ton katana des deux mains. Tu te remets en position, prêt à faire face aux deux derniers opposant, dont l'un menace la vie de la future impératrice en collant sa lame sous sa gorge.

Tu ne réagis pas, ton expression reste neutre, mais ton regard perçant vise au-delà même de ce que ces abrutis peuvent comprendre. En une fraction de seconde, tu lances ton katana entre ses deux yeux et sans laisser le temps à son acolyte de réagir, tu t'élances, saute sur le pommeau de ton arme encore planté dans le crâne de ta cible ; puis tu y prends appui arrachant au passage la lame qu'il tenait fermement sous la gorge d'Eun-Ji. Tu effectues un salto pour atterrir directement sur le dos du dernier homme à qui tu viens trancher la gorge sans hésiter. Tu te diriges vers la jeune otage, et saisit ton katana encore planté dans le visage de celui qui la retenait d'un geste sec, puis après l'avoir secoué de la même manière qu'il y a quelques instants, tu le ranges dans son fourreau derrière ton dos.

Tous tombent à terre, mais avant que la gamine ne subisse le même sort, tu la rattrapes, la faisant asseoir dans le coin de la pièce qui ne baigne pas dans le carmin. Tu ôtes ta veste d'apparat que tu lui déposes sur les épaules, puis tu t'occupes de sa blessure sans même décrocher un mot. Tu n'aimes pas te servir de ta magie, mais pour stopper l'hémorragie, il fallait bien l'utiliser. Tu appliques ce que ta mère t'a appris, plaçant tes deux mains sur sa blessure avant qu'une lumière éclatante n'en jaillisse et absorbe le mal. Les soins sont loin d'être une spécialité, alors elle n'est pas complètement guérie, mais le sang cesse de couler. Toujours sans parler, tu déchires un morceau de la veste avec laquelle tu venais de la recouvrir pour panser sa blessure en l'enroulant autour de sa cuisse. Ce n'est que lorsque tu as terminé que tu daignes te présenter, jusqu'ici, tu as fait fi des mots qui parvenaient à tes oreilles.

" - Je suis Guang-Li jeune souveraine. "

Tu te lèves finalement pour te présenter comme il se doit, t'inclinant respectueusement à quatre-vingt-dix degrés.

" - J'ose espérer que vous prendrez la peine de songer à ne plus sortir seule sans protection à l'avenir. "

Ce n'est pas une provocation, tu le penses réellement et peu importe la couronne ; tu ne te priverais pas de lui faire la remarque sans pour autant te montrer irrespectueux.

" - Votre père doit être en train de vous chercher. Je vais le prévenir immédiatement de votre état et de notre position. "

Tu n'attends pas son consentement, tu fais ce que tu as à faire. Tu amènes une main devant ton menton dont seul l'index et le majeur se dressent faisant apparaître deux lucioles éclatantes d'un blanc immaculé. Celles-ci tournoient quelques secondes autour de ta main puis s'élèvent dans les cieux, traversant la seule ouverture du toit créée par le délabrement du lieu. Une fois fait, tu croises les bras contre ton torse fixant la demoiselle d'un air terriblement neutre. Si elle s'attendait à ce que tu lui fasse la conversation, elle n'était malheureusement pas bien tombée.

Comme tu pouvais t'en douter, la demoiselle n'est pas du genre à se priver d'user de son pouvoir pour faire plier les autres à sa volonté. Néanmoins, si tu es un homme protocolaire au service de l'empire, tu n'en demeures pas moins Guang Li ; celui qui ne courbe pas l'échine si son œil avisé ne le lui intime pas.

" - Non. "

Tu la jauges d'un air sévère, tu ne décroises pas tes bras, une manière de faire comprendre que quoi qu'elle dise, tu restes fermé à la discussion.

" - Si un danger venait à nous surprendre, vous seriez un fardeau. Je ne peux pas vous protéger en portant une enfant agitée sur mon dos. "

Tes sourcils se froncent légèrement. Seulement sept ans vous séparent, mais tu as l'impression que vous aviez une génération entière d'écart tant vos attitudes sont différentes. Les lucioles dorées sauront réactualiser votre position et reviendront vers toi quoiqu'il arrive, si la demoiselle voulait quitter ce lieu, elle allait devoir marcher sur ses propres gambettes.

" - Mais vous semblez assez en forme pour vous relever et marcher. La blessure est stabilisée, nous iront à votre rythme. "

Sans lui laisser le temps de protester, ou plutôt en ignorant ses paroles d'enfant gâté, tu tournes les talons, marchant d'un pas feutré jusqu'à la sortie de la cabane. Elle te suivra, tu n'en doute pas. Tu sais comment fonctionne ce genre d'esprit. C'est douloureux ? Alors il faut penser aux conséquences de ses actes et les assumer ; c'est la première leçon que tu lui enseignera et ce peu importe que tu sois écarté de la place que tes parents te poussent à convoiter.

" - En tant que future souveraine, vous ne pouvez pas vous permettre d'être aussi inconsciente. "

C'est comme ça, elle ne peut pas. Sa position ne lui en donne pas le droit, tout comme la tienne ne te laisse pas la possibilité d'être maître de ta vie et c'est comme ça ; il faut l'accepter et avancer. Eun-Ji est contraindre de te suivre, non sans râler et grommeler, mais rien n'y fait, tu ne lui accordes même pas un regard. Tu marches à ses côtés, sans la dépasser et finalement, tes pas se calent sur les siens, comme si une seule personne foulait la terre. Tant qu'elle reste dans ton champ de vision, c'est bon, tu n'ouvres pas une seule fois la bouche, tes lèvres restent scellées. Pour autant, tu n'ignores pas totalement sa présence, tu te concentres sur ton environnement, à l'affût du moindre bruit suspect.

" - Silence. "

D'un ton glacial et tranchant, tu ordonnes à celle qui donne les ordres. Tes prunelles noires sondent les alentours, d'un geste rapide et précis, tu pivotes sur toi-même et lances une lame semblable à une aiguille que tu cachais dans ta manche derrière vous. Celle-ci se plante entre les deux yeux d'un mercenaire niché en haut d'un arbre, si tu avais relâché ta vigilance, il se serait servi de sa sarbacane pour vous empoisonner ; on t'aurait sans doute égorgé et Eun-Ji aurait perdu toute chance d'être secourue.

" - D'autres viendront. Pressez le pas. "

Tu pourrais l'aider, mais c'est à la dure que l'on apprend et puis si la demoiselle aimait défier les lois et défier le monde, autant qu'elle se souvienne de cette nuit-là, comme de la dernière où sa bêtise outrepasserait sa raison. C'est à ce moment-là que tes lucioles de lumière reviennent et si elles sont ici, c'est qu'elles n'ont pas pu atteindre qui que ce soit. Il y a un problème. Tu laisses virevolter les lumières près d'Eun-Ji, lui permettant une meilleure visibilité quant à là où elle mettrait les pieds. Des ennemis doivent rôder en nombre et attendent le faux pas, s'ils ont vu leurs complices éclatés sur le sol, ils ne s'approcheront pas frontalement ; ils ont compris qu'ils ne sont pas de taille.

" - Les renforts ne viendront pas. "

Tu es franc, tu n'as pas de raison de lui cacher la vérité après tout, la situation reste celle qu'elle a déclenché par sa sottise. Tu lui intimes de te suivre, sans pour autant lui offrir une quelconque forme de réconfort, tu cherches un point où vous arrêter pour la nuit. Vos pas vous guident près d'une colline de roche, une cavité assez grande vous permet de vous abriter et de rester à couvert, tu la laisses s'engouffrer à l'intérieur puis tu suis, te postant devant l'entrée droit comme un i prêt à rester ainsi les huit prochaines heures sans même bouger un cil. Ce ne sera ni la première fois, ni la dernière fois que tu maintiens cette position. Tu ignores toujours la souveraine, mais maintenant que vous êtes à l'arrêt, rien ne l'empêchera de faire déferler une vague de caprices à ton encontre.

Eun-Ji se plaint, mais tu ne l'écoutes pas, le sommeil finira par l'emporter. Dans tous les cas, tu n'aurais rien de bon à lui dire, elle parle sans réfléchir, et incrimine les autres sans jamais se remettre en question. Si les choses ne changent pas, il y aura de quoi craindre la suite quant à la direction que prendra le pays.

Les heures défilent, pourtant, tu ne bouges pas d'un millimètre, les lucioles qui accompagnaient la princesse jusqu'ici s'éteignent. Aucun signe de danger apparent, c'est silencieux, calme et presque paisible, mais le tigre ne baisse jamais la garde, c'est dans le silence que se prépare le massacre. Tu clos les paupières, mais tes sens ne s'arrêtent pas pour autant, toujours à l'affût du moindre mouvement, une odeur, un son, tout ce qui pourrait t'indiquer la présence d'un ennemi. C'est comme ça que tu entends les faibles mouvements de la demoiselle lorsqu'elle émerge, sa respiration a changée, et sa tentative de discrétion est pour le moins... Minable.

Tant qu'elle ne s'agite pas, tu ne bougeras pas. Seulement, princesse casse-pieds ne serait pas casse-pieds si elle se tenait convenablement, sans faire d'histoires. Dès qu'elle dépasse la limite, mais surtout pénètre ton espace personnel, tes yeux s'ouvrent et d'un geste vif, tu dégaines ton katana qui menace de s'abattre sur sa gorge au moindre battement de cils. Tu la toises froidement de longues secondes avant d'abaisser ta lame, tes prunelles sombres la sermonne dans le silence.

" - Nous allons reprendre la route. "

Puisqu'elle semble réveillée et déjà prête à faire des cabrioles, autant le faire dehors et gagner du temps. Une fois ton katana rangé dans son fourreau, tu fais enfin ton premier pas depuis des heures à rester statique. Sans réellement dormir, tu as appris à te ressourcer en faisant de très cours sommes peu réparateurs ; mais c'est comme ça que l'on t'a entraîné. Si bien, qu'une nuit complète de plus de quatre heures te semble presque onirique aujourd'hui. Il est impossible aujourd'hui pour toi, de savoir ce qu'aurait voulu le jeune Guang, qu'aurait-il aimé faire sans tous ces entraînement beaucoup trop lourd pour un enfant ? Aurait-il passé ses journées à flâner et courir après les libellules qui volaient dans le jardin familial ? Où se serait-il amusé à grimper aux arbres pour dérober les œufs dans les nids d'oiseau ? Tout ça, tu n'en sais rien. Tu ne connais que le devoir et depuis que tu es en âge de serrer les poings. À présent, ton devoir, c'est de ramener l'héritière de la couronne à son père.

Tu ne lui accordes pas un mot de plus lorsque vous sortez de cette grotte. Ses caprices, ses inepties, tu ne les écoutes pas. À la place, tu es déjà en train d'analyser ton environnement, tu penses également à vos besoins, notamment l'eau et la nourriture, car si les alentours sont infestés par les rats qui se prennent pour des loups... Le voyage ne serait pas des plus rapides. Tu as beau connaître les lieux, rien n'est plus dangereux que d'arpenter les terres que l'on connaît comme un terrain conquis. Deux heures passent. Pas un mot ne passe tes lèvres, pas même un soupir ou un son qui laisserait entendre ton agacement, ni quoi que ce soit d'autre. Tu marches légèrement devant, mais tes pas restent calés sur les siens, aucune trace de nuisible, pourtant, tu le sais ; ils ne sont pas loin. Tu ne sais simplement pas, quand ils comptent attaquer. Probablement cette nuit.

Arrivés près d'un cours d'eau, vous longez un certain temps le courant pour remonter à la source, de sorte à avoir l'eau la plus pure possible. Une vingtaine de minutes plus tard, vous êtes au pied d'une magnifique cascade et une fois atteinte, tu n'attends pas la demoiselle pour te déplacer sur les rochers qui dépassent de l'or bleu. C'est aussi gracieusement qu'un cygne que tu t'abaisses afin de t'abreuver en amenant tes mains emplies d'eau fraîche à la bouche. Tu n'es toujours pas disposé à faire la conversation, si ça n'est pas utile, tu ne parles pas. Ça aussi, on te l'a appris très tôt. Tu sors ensuite ton katana pour laver la lame que tu entretiens probablement mieux que ton propre corps. Tu gardes la demoiselle à l'œil, ça n'est pas flagrant, mais tu n'oublies pas ton rôle.

Le lieu est d'une beauté inégalée, les terres de Nuhoko sont et resteront à jamais la quintessence des merveilles que peuvent offrir le monde. Si tu étais seul, sans avoir à protéger quiconque, tu te serais assis en tailleur sous cette cascade pour méditer des heures durant. Sentir l'eau couler sur tes cheveux et laver le mal qui te ronge et peut-être… Faire disparaître les stigmates qui ont ravagé ta peau immaculée.