Un enfant se retourne.

Sa main, saisit celle de son parent, tire légèrement dessus, le bambin, sourit déjà.

_ C’est Gobelin !

Gobelin ? Le père cligne des paupières et lève le nez. Un sourire éclaire finalement son visage et un soupir s’arrache de ses lèvres.

_ Pas longtemps, demande l’homme.

Ils approchent, d’un petit attroupement.

_ Et soudain ! La guerrière se lève. L’ours, stupéfait, pousse un reniflement, mais un premier coup, s’abat sur son museau ! SBAM ! La bête, outrée, se dresse sur ses pattes arrières, quand la Duchesse, entoure sa taille de ses bras et le renverse à terre !

Les enfants hurlent de stupeur, des applaudissements retentissent, quand la Duchesse, se lève de toute sa hauteur.

_ Arrière, Bête ! Ce n’est pas sur mes terres que tu perdureras ton règne de terreur ! Je t’ordonne de quitter ces lieux, à jamais, ou je veillerai à écraser, le peu qu’il te reste de fierté ! Clame la Reine des Glaces. L’ours, à qui il reste décidément peu de dignité, bascule sur le ventre, dans un couinement, il implore pitié, mais c’est d’un coup de pied dans son poilu derrière, que la Duchesse l’envoya, bien loin, bien loin, jusqu’à la mer ! Depuis, l’on prétend que les ours qui franchissent les frontières de son territoire, s’inclinent devant la Reine des Glaces !

La Duchesse en réalité, serait probablement offensée de voir la créature qui vient de l’incarner. Combien même le récit a probablement été à hauteur des évènements qui se sont réellement déroulés, l’acteur qui joue son rôle, est loin d’avoir sa beauté.
Mais enfin, ce n’est pas pour son charme que ces spectateurs se sont rassemblés. Quelques pièces sont jetées, du pain et des fruits que Gobelin s’empresse de ramasser, certain.es demandent, une autre histoire, mais Gobelin répond, pour une prochaine fois, les poussins, d’un signe de la main, il salue la foule, qui s’espace, qui s’efface, il reste seul, dans ce coin de la place.

Roucoulant et gazouillant, la créature récupère précieusement, chaque don qu’il glisse dans sa poche. Le corps voûté, au sol, les genoux ramenés, au niveau des épaules, c’est à 4 pattes qu’il étudie du regard, les dalles. Ses longs membres, se déplient. Les ongles, non, les griffes noires, se faufilent entre les anfractuosités, récupèrent, la moindre pièce ou les miettes, qu’il glisse avidement, entre ses lèvres.

Oreilles, tranchées, pointes effilées, traversent le ruisseau noir, de très longs cheveux huileux. Un long nez, osseux, fend la surface graisseuse. Sous de fines paupières, s’agitent, vertes prunelles ; les yeux de verre, reflètent la lumière, sans que l’on n’y voit, qu’une once de chaleur. Il n’en reste, qu’une flammèche éthérée, un feu follet, un reste de vie, qui meurt bien vite, au fond des sombres pupilles. La peau blafarde, étirée comme un masque mortuaire, sur les pommettes saillantes, se déchire, au niveau des mâchoires : rictus carnassier, où s’échappe, une longue langue, qui pend comme un gros ver, hors du crâne d’un mort.

Claquement lugubre, du larynx et crissement qui s’étouffe, entre les lèvres, la satisfaction, de toutes ces belles récompenses, le corps, se voûte, se replie, accroupi, les genoux ramenés de part et d’autres de ses oreilles, Gobelin est satisfait.

Jusqu’à l’approche, du Cheval.

Gobelin surgit, comme un diable hors de sa boîte. Soudain debout, perché sur ses geta, la créature se recule d’un pas, d’un autre, s’apprête à laisser passage, au Noble maître, jusqu’à percevoir, son regard fixé sur lui.

Les yeux verts, se plantent dans ceux rougeoyants. Les paupières retombent lourdement, sur les prunelles, alors qu’un sourire, étire froidement les lippes. Parodie, d’un sourire, d’une créature, qui se veut presque humaine, lorsqu’elle penche la tête sur le côté, pour mieux l’étudier, les mains qui s’unissent contre son torse, dans un geste de prière, qui effleurent doucement, le bras de l’homme avant de se rétracter.

_ Tu es ! Tu es !

La voix coasse, avec joie, alors que les mains, applaudissent à deux reprises. Rire, de crécelle, qui ébranle les épaules osseuses, Gobelin lève les bras au ciel, virevolte sur lui-même, jusqu’à s’incliner une nouvelle fois, devant l’inconnu.

_ Qu’as-tu pensé, du spectacle ?

Minaude-t-il, l’observant entre ses longues mèches sombres, le visage déchiré, de son sourire qui dévoile, les dents acérées, taillées ou brisées par les coups reçus.

Que pense-t-il, de tout ce qu’il a vu ?

De cette nuit passée, dans la plus totale obscurité. De l’éclat, d’une lueur dans la pénombre, de cette ombre qui a rampé, jusqu’à lui, jusqu’à le, libérer. Bruits étranges, borborygmes et onomatopées, couinements de joie quand les liens se sont relâchés, la créature déjà réfugiée, dans les ombres. Yeux luisants, avant que le monstre, ne se soit détourné. Disparaissant comme, un mauvais rêve s’efface quand l’aube, vient de se lever.

_ Tu es, tout entier, ils n’ont pas, pas blessé, le petit oiseau qu’ils avaient emprisonné. Bien, bien, t’es tu vengé, leur as-tu fais payer ? Gobelin lui, s’en est allé. Il est heureux de voir, voir que le jeune garçon peut marcher, qu’il a toujours, son très beau cheval pour l’accompagner. Comment, comment va, le jeune Seigneur ?

Gobelin n’est, qu’un humble serviteur.

Le rire étouffé, ravive les flammes au fond du regard, si noir.

Les pupilles, animées d'un feu malsain, se plissent alors que le rictus, s'étire, l'être de cauchemar, attiré par cet éclat de lumière, comme un papillon, à la lumière d'une bougie. En écho, sa propre gorge est saisie d'un spasme, ricanement guttural, d'une connivence naissante, la simple satisfaction, d'un moment de joie partagée. Les bonheurs les plus simples, Gobelin a appris à s'en rassasier ; mais son âme est toujours avide, d'autres à embraser, propager ses flammes, à toustes celleux que son chemin croise.

_ Nous avons tous été, enfants, certain.es le sont encore un peu, l'enfouissent au fond d'eux, mais Gobelin sait comment les trouver.

Roucoule-t-il, ses yeux ne sont plus qu'une fente, à l'image du sourire qui joint une oreille à l'autre. Si Thorongil est peu impressionné par Gobelin, c'est loin d'être le cas de la créature. Saisie d'un sursaut, quand l'animal s'ébroue, Gobelin lui adresse un regard craintif et se voûte un peu plus, mais ses yeux recroisent ceux de l'inconnu et il redresse légèrement le nez.

_ Oui ! Oui tu as reconnu Gobelin !

S'écrie joyeusement l'être en levant les mains au ciel, jusqu'à les réunir sous son menton en battant des cils.

_ Il a été, le temps d'une soirée, preux chevalier sans destrier ! Viens-tu donc, l'embrasser pour le remercier ? Peut-être qu'un baiser, fera du bien vilain Gobelin, le plus beau des Hommes !

Ricane-t-il en penchant la tête sur le côté. Parodie, d'une femme qui veut plaire, à tordre ainsi la tête et à battre des paupières… Mais il ne s'attend visiblement pas à ce que l'homme s'avance. La main se referme sur son épaule osseuse, Gobelin glapit pitoyablement et soudain, ses jambes ne semblent plus porter son poids, il se courbe en joignant les mains au dessus de sa tête, les supplications franchissent ses lèvres.

_ Ne tapez pas Gobelin, ne tapez pas Gobelin ! Quel impudent fait-il, il est, d'une stupidité et d'une vulgarité des plus condamnables, ayez pitié O bel épéiste, O splendide cavalier, ayez pitié du misérable qui n'a pas conscience, de la gravité de ses mots, des insultes qu'il profane ! Que peut-il donner, pour que vous l'épargnez, souhaitez-vous, le voir à genoux, qu'il vous donne, le peu d'oboles, que faut-il, pour lui laisser la vie ?

Si Stolas souhaitait être discret, c'est peine perdue. Les cris aigus du Gobelin attirent naturellement les regards, certains semblent inquiets, d'autres, seulement amusés, croyant qu'il ne s'agit que d'une autre farce du Gobelin… D'ailleurs, il est difficile de savoir, s'il joue ou s'il est sincère, les yeux verts, vont de l'épée au cheval, se lèvent vers le visage, sourire déchirant les traits, dévoilant les dents, les mains qui se lèvent encore une fois dans un geste de prière.

_ Gobelin souhaitait seulement, plaisanter. Il vous a vu rire ! Et c'était beau à voir ! La joie sur les visages, le bonheur dans les vies, que demander de plus, mais s'il vous a, offensé, s'il vous a, outré ! Gobelin demande pardon, il voue, voue un grand respect, pour tout ce que la Déesse a créé ! A part les endives, car ça, c'est vraiment pas bon.

Sans non plus opposer de réelle résistance, à moins qu'il n'ait simplement pas la force de lutter, son pas trébuchant accompagne celui du mercenaire. Trébuchant, bientôt sautillant, jusqu'à se dégager d'un geste doux, revenant se placer face au jeune homme. Enfin, ses genoux cagneux se plient, il retombe accroupi, l'observant d'en bas.

_ Il est surpris, pourquoi ? Plus surpris, qu'un Gobelin aide un Humain, alors que ce sont, ses semblables qui l'ont enfermé. Il faut comprendre, Gobelin, que les Hommes, ne sont pas toujours ce qu'ils prétendent être, certains, sont bien vilains, plus vilains que toi, sous couvert, d'un peau ou d'un titre, minaude Gobelin comme pour lui-même, Explique donc, au garçon, mais que dire ? Que dire, à part qu'un Monstre est parfois, seulement humain.

Les fesses retombent sur le sol, adossé au mur, Gobelin ramène ses jambes contre lui comme pour se reposer, se protéger, ou seulement se remettre de ses émotions. Ses pieds se balancent régulièrement, alors que ses yeux se sont finalement baissés vers le sol qu'il caresse de ses longs ongles ; le crissement, de la corne contre la pierre.

_ Gobelin n'aime pas, voir les oiseaux emprisonnés. Il y a tant de cruauté dans ce monde et la cage, fait partie des pires sévices, de ces choses, qu'un Gobelin ne peut tout simplement pas accepter. Ont-ils fait du mal, à l'homme ?

Il demande une nouvelle fois, le dévisageant avec attention cette fois.

_ Car ils ont coupé, de nombreuses ailes.

Sous ses cheveux noirs, son regard, se voile. Les prunelles obscures, regard, mort sous les mèches ébènes, tombeau, d'une âme enterrée, les ongles, accrochés à la pierre, rictus goguenard et carnassier, d'une haine glacée.

_ Ils s'en sont pris, à des petits, petits poussins. Gobelin les a recueillis et Gobelin a promis, de les chasser, de faire ses dents, sur leurs cadavres. Manticores, se nomment-ils, bandits, de misérables renommées, capturent et font du mal, à celleux qui n'ont rien mais Gobelin, ne les craint pas !

Avec la vivacité d'un serpent, Gobelin s'est déjà dressé : les yeux plantés dans ceux rougeoyants de Stolas. Ses mains effleurent et entourent ses épaules sans les toucher.

_ Gobelin a voulu, te protéger ! A-t-il réussi ? A-t-il aidé, aidé et sauvé, l'oiseau qu'ils ont emprisonné, peut-il encore voler, de ses propres ailes ? Est-ce que…

La voix, meurt quelques secondes, les épaules retombent, les bras, les yeux toujours vides, un sourire plus faible, s'esquisse.

_ Est-ce que tout va bien ?

Et sa voix, n'est plus grimace, plus d'onomatopées, elle est, d'une tendresse ferme, d'une sincère, préoccupation, à l'image de sa main, qui saisit quelques secondes, la manche de Stolas.

_ Les liens étaient si serrés…, murmure Gobelin.

La méfiance de Stolas, coule sur lui comme la pluie, glisse sur ses cheveux graisseux.

Il n’a rien, de rassurant, personne n’a confiance, en Gobelin – le contraire, aurait été surprenant. Aussi, se contente-t-il d’une grimace étrange, mêlant satisfaction et détachement, la langue sortant de ses babines et les yeux roulant dans les orbites, se grattant l’oreille de l’index.

_ Ah, il a bien fallu que Gobelin vous voit pour vous extirper de ce mauvais pas… Mais ne vous inquiétez pas, aussi beau soyez-vous, ce n’est pas vous qui suscitait l’attention de Gobelin.

Glisse-t-il dans un sourire, penchant doucement la tête sur le côté, avant de le suivre du regard lorsqu’il le voit s’éloigner. Quand il revient avec une bourse, bien remplie, les yeux du Gobelin s’écarquillent au son familier des pièces qui s’entrechoquent. Il redresse la tête, les épaules, les yeux luisants d’un feu avide. Les lèvres entrouvertes, deviennent bouche bée quand le butin retombe lourdement dans sa paume.

Clignant des paupières, ses yeux vont de Stolas à l’argent, jusqu’à ce qu’il s’accroupisse pour ouvrir la bourse et en observer l’intérieur. Il attrape une pièce entre ses doigts pour l’élever à hauteur de ses yeux verts, la détaille longuement, avant de ranger le tout dans sa poche. S’élance soudain, à 4 pattes, il rattrape Stolas, s’effondre à genoux et lève les mains dans un geste de prière.

_ Merci merci, pour l’argent ! Glapit joyeusement Gobelin. Rictus qui rejoint, de part et d’autre, ses oreilles, les mains qui se lèvent et s’abaissent, comme ces bibelots en forme de chat que certain.es marchand.es ont, il remue encore à 2 reprises les bras, de bas en haut, roucoulant de bonheur.

_ Et pour la gentillesse. Gobelin n’oublie pas, la compassion, n’oublie pas, la douceur, des Hommes, merci encore, l’argent ira, pour les enfants et prendre soin, de Gobelin !

Assure la créature. L’observant détacher Thorongil, probablement nerveux d’être à terre face à l’équidé, il se redresse. Le dos un peu voûté, les genoux un peu rentrés, dans une attitude mêlant crainte, respect et retenue face à l’animal, l’envie à la fois, d’approcher de Stolas, finalement, Gobelin bondit de quelques pas, impose une distance respectueuse, de quelques mètres. De quoi s’entendre, sans avoir à hausser la voix. Gobelin glisse ses mains dans son dos, marche à reculons, fait parfois un tour rapide sur lui-même, dévisage avec attention Stolas.

_ Coïncidence, peut-être pas… Gobelin chasse les Manticores et beaucoup d’entre elles, se trouvent ici ! Gobelin s’assure seulement, de mettre quelques bâtons dans leurs roues, des freins, à leurs mâchoires d’acier, elles ne sont point les plus redoutables, mais elles n’en restent pas moins persistantes.

Gobelin sourit en haussant les épaules.

_ Et Gobelin en profite pour jouer ! Spectacles et grimaces, faire sourire, les enfants et rire les adultes, peut-être ouvrir les cages, de quelques oiseaux… Que vient faire ici, le bel homme, comment Gobelin peut-il, le nommer ? Peut-être contera-t-il l’histoire, du beau pinçon prisonnier qui s’est envolé ! Cherche-t-il, d’autres personnes à protéger, de l’argent à gagner ? Gobelin sait, sait dans quels endroits il faut aller, il y a, une auberge à l’Ouest de la ville, la Wyvern Blanche, les prix, ne sont pas trop chers, et là bas, il y a toujours, des demandes !

Roucoule-t-il en voltigeant de part et d’autre vers lui. Veillant toujours, à se tenir loin du cheval mais gravitant autour de Stolas. Son regard croise souvent le sien, finit par se détourner de lui, observant les visages et les rues, saluant d’un sourire ou d’un geste de la main, les personnes qu’ils croisent. Bruits de gorge, faits de caquètement, gloussements et pouffements, les bras qui se balancent et le pas qui va d’avant en arrière, tourne sur lui-même. Soudain, s’élance, Gobelin bascule sur les mains, d’une roue, retombe sur ses geta et lève fièrement les bras au ciel, se tourne vers Stolas en écartant les bras, comme attendant une série d’applaudissements.

_ Qu’en pense, le garçon ? Gobelin ferait-il, bon acrobate ? Avec tout l’argent qu’il lui a donné, le jeune homme mérite bien, le plus beau des spectacles !

Roucoule-t-il, entourant son visage de ses grandes mains osseuses, trémoussant des hanches.

_ Venez, venez, suivez Gobelin, il sait où vous emmener !

Gobelin repart en fredonnant, battant des bras comme un poulet, se précipitant avec agilité dans les ruelles. Toujours, sur le point de tomber et se rattrapant, d’une pirouette, d’une main qui s’accroche au mur, des pieds qui s’empressent, le corps se tord, ondule, fend l’air, serpent, l’on rit et s’écrit sur son passage.

Gobelin est connu, comme le loup blanc, ce village, semble étrangement attaché au faciès difforme, de simple misérable, il devient soudain, guide, mascotte, vermine, il est, dans son monde, un monde où Gobelin a fait de son armure, le ridicule. Approchant de l’auberge, il s’accroupit à même le sol, tire la langue dans une expression étrangement satisfaite, ses yeux mi-clos, produisant de doux bruissements jusqu’à ce que Stolas s’approche. De nouveau, Gobelin jaillit, ouvre la porte, dévoilant l’intérieur d’une auberge bien remplie…

Il y a de nombreux voyageurs.

L’un d’eux attire sûrement le regard de Stolas.

Un homme de taille moyenne, à la peau sombre. Les cheveux dissimulés dans un turban blanc, le visage, caché, les mains bandées. Ses yeux, sont d’un bleu extraordinaire. Oasis, fragments d’icebergs, éclats célestes. C’est d’ailleurs, ce qui captive bien d’autres attentions ; la servante semble tenter de jouer de ses charmes, jusqu’à remarquer l’arrivée de Stolas.

_ Oh ! Qu’est-ce que je vous sers ? Sourit-elle, avenante. Assez grande, aux charmes mis en avant par sa robe décolletée, ses hanches ouvertes et son ventre rond témoignent qu’elle a déjà été mère. Charmantes ridules au coin des yeux, cernes sous les paupières, un nez retroussé, de bonnes joues rondes, ses cheveux blonds fatigués, elle dégage le même charme, qu’un champ de blé en fin d’été. Chaleureuse, elle pose une main sur l’épaule de Stolas et le conduit à une table libre.

Gobelin n’est plus visible. L’homme aux yeux bleus, non plus. Le tenancier, quant à lui, observe curieusement Stolas tout en essuyant un verre, puis finit par se désintéresser de lui. Si Stolas observe autour de lui, il peut remarquer quelques visages qui sortent du lot…
Un homme se tient assis contre le mur. La taille de ses épaules, la masse de son torse, de ses bras énormes croisés, attestent d’une force probablement équivalente à celle d’un bœuf – et l’on en vient à se demander comment il a franchi même la porte de l’auberge ou comment le banc supporte son poids. Cheveux grisonnants, grand nez tordu, les yeux clos, il semble somnoler, les mâchoires bordées d’une barbe de quelques jours.

En face de lui, une personne au visage voilé, vêtue d’une longue robe, se tient bien droite. Allure noble, c’est avec une certaine élégance qu’elle approche sa tasse à ses lèvres. Cependant, ses vêtements usés témoignent d’une certaine misère, qu’elle tente de cacher, par une bague voyante, un bracelet aux pierres rouges, de petites bottines cirées.

Un adolescent aux yeux d’amandes, aux très longs cheveux noirs, est occupé à réparer son arc. Les sourcils froncés sous la concentration, il s’applique du mieux qu’il peut et se mord même la langue sous l’effort, avant de lâcher un juron. Corps fin et adroit, il se lève pour s’approcher du comptoir, pose une main sur l’épaule d’un grand blond. Les cheveux rasés sur les côtés, le reste des cheveux tirés en arrière par un catogan, l’homme rit d’une voix forte et salue Stolas d’un geste de sa choppe.

_ Vous cherchez un contrat ? Y’en a pas mal, ici ! L’invite-t-il dans un sourire. Accent du Nord, bonhommie chaleureuse, le guerrier échange quelques mots avec l’adolescent, lui paye une choppe de jus de pomme, que l’adolescent ramène à table.
Peut-être Stolas remarque-t-il, la seule lanterne verte posée au centre de ladite table…

Un mouvement attire probablement le regard de Stolas.

Il vient de sous la table.

De cette main blafarde, qui surgit et plante ses longs, longs ongles, dans le bois, de la table. Grincement lugubre, d'un larynx qu'on écrase, se laisse percevoir, la longue chevelure, noire et huileuse. Yeux luisants, apparaissent et fixent tour à tour les deux hommes, la créature, pouffe et d'un bond, surgit. Les getas, en équilibre entre le vide et le bord de la chaise, les deux coudes, posés sur la table, le séant, se balançant d'avant en arrière, Gobelin tient son visage entre ses paumes, remontant ses joues, déjà bien maigres, jusqu'à ses pommettes saillantes.

_ Comment va-t-on l'attraper ?

Demande-t-il directement à Stolas. Ses yeux, plissés, ne sont qu'un trait, émeraude, qu'une lame, effilée, à l'image des dents aiguisées qu'il dévoile. Attrapant la choppe de Stolas, il renifle à deux reprises son contenu, avant de la lui rendre dans un doux glapissement, de satisfaction.

_ Gobelin a envie d'aider, le jeune mercenaire, c'est un homme, honnête et consciencieux, sérieux et presque raisonnable, il prend peut-être, un peu de risques, mais c'est probablement l'envie de satisfaire, celleux qui payent ses services, ou le plaisir, de se sentir en vie, ne vous inquiétez pas, le contrat, est entre de bonnes mains !

Gobelin offre sa main à l'homme, qui la lui sert dans un sourire, les deux semblent se connaître. Gobelin saute au sol, s'étire de tout son long, dans un craquement de vertèbres qui le fait rire et franchement grimacer l'adolescent aux yeux en amande.

_ Il y a besoin de moi ? Demande d'ailleurs le garçon, dans une petite moue.

_ Nous ne serons pas de trop, avec toi et peut-être, Lazur ou Ludivine, si l'un des deux veut nous accompagner.

_ Et moi ?! Proteste le grand blond, arrachant un rire à Gobelin. L'homme pose ses mains sur ses hanches étroites, le visage éclairé, d'un sourire malicieux. Il hausse les épaules, avant de leur adresser un signe de la main.

_ Allez, venez. Stolas, je vous présente Uiko…

L'adolescent cligne des paupières, tourne les yeux vers Stolas et le salue d'une inclinaison respectueuse de la tête. Les cheveux noirs, bien attachés, yeux en amande, le garçon a les traits tirés et souffre probablement, de ses hormones. La voix qui virevolte parfois dans les aigus, tâches de rousseur se mêlent à quelques boutons d'acné, mais le garçon, a une certaine dureté dans le regard, dans le tracé des arcades sourcilières prononcé, dans ses mains couvertes de cornes, dont le petit doigt a été coupé. Un arc sur son épaule, il va récupérer son carquois laissé près de la table à la lanterne verte.

Le grand blond se lève et sourit à Stolas. Cheveux blonds, rasés sur les côtés, yeux bleus pétillants, une barbe de quelques jours, pas si mal rasée. Gros et grand nez bosselé, des mâchoires carrées à l'image de ses épaules, malgré des pectoraux et des bras bien dessinés, l'homme affiche un ventre à bière qui ne semble pas tellement le gêner, malgré sa chemise un peu serrée. Il roule un peu des mécaniques, fait jouer les épaules, avant de reposer une hache en travers de ces dernières.

_ Ca fait bien des années que je n'ai pas chassé du sanglier, constate Kador, qui s'est déjà présenté à Stolas lorsqu'il s'était installé près de lui.

Gobelin ricane malicieusement.

_ J'espère que tu n'as pas perdu la main…

Kador éclate de rire et a un geste de la tête vers Uiko.

_ Et lui ? C'est notre archer et ça te gêne pas qu'il lui manque des bouts de doigt ?

_ Probablement parce qu'il vise toujours mieux que toi !

Kador rit de nouveau, rire accompagné de celui de crécelle de Gobelin. Uiko se veut grognon, mais sourit légèrement en levant les yeux au ciel.

_ Ce qui n'est pas un exploit très difficile…

Gobelin glisse ses mains dans son dos et se tourne vers Stolas.

_ Ah, au fait. Je devrais peut-être me présenter plus convenablement.

Gobelin fait mine de saisir un chapeau à plumes, qu'il dresse théatralement vers le ciel, fait tournoyer, l'abat contre son torse, le tout, en plaçant un pied vers l'arrière, dirigeant le haut du corps, vers le sol.

_ Gobelin, mercenaire, chef des Lanternes Vertes.

Et presque toute la , l'acclame ou le hue, alors que Gobelin rit et lève les deux bras au ciel, sautille en tournant sur lui-même comme pour saluer, la foule en délire. Ses yeux reviennent, s'unir à ceux de Stolas.

_ Ne vous inquiétez pas… La prime ne sera partagée qu'entre deux ! Que nous soyons 1, 6 ou 15, vous toucherez la même prime !

_ C'est juste que Mael a envie de sanglier, explique Kador avec connivence, comme si Stolas lea connaissait, Au fait, vous venez du coin ? Parce qu'on voulait partir en direction de l’Empire mais le chemin qu'on emprunte habituellement a été bloqué par une chute de pierres, je crois…?

Il grimace, incertain, alors que la petite troupe se dirige vers la sortie de l'auberge. Gobelin fredonne devant, marchant, les mains jointes dans le dos. Uiko, assez timide, reste derrière et surveille les environs…

Gobelin sourit à la remarque surprise de Stolas.

Ses yeux verts plantés dans les siens, le sourire s’étire presque jusqu’aux oreilles, alors qu’il glisse ses mains dans son dos, s’avance de deux pas et se penche. Sous les paupières, les pupilles luisent, d’un éclat glacé, comme une lame qu’il glisserait le long de sa gorge. Menace suintante, lovée sous les longs cils, grincement s’arrache des lèvres exsangues, comme un rire, qu’il retient.

_ Allons, allons, jeune âme, ne laisse donc point tes yeux dicter, ce que ton esprit doit comprendre de ce monde. Ne t’as t on jamais dit, de ne jamais te fier à la couverture d’un livre ? Et si tu ne connais pas, alors ouvre grand tes oreilles, car il est toujours temps d’apprendre !

Et les bras se lèvent, comme si Gobelin pouvait saisir le monde, entre ses mains, qu’il le fait tourner au-dessus de sa tête jusqu’à le jeter dans un rire, virevoltant, il s’éloigne, il redevient, esprit facétieux et dansant, bondissant sur ses geta. Kador marche d’un pas tranquille, alors qu’Uiko, quant à lui, s’occupe de vérifier son arc et le nombre de flèches dans son carquois.


_ Je suis désolé, moi, je ne me souviens pas de mes rêves franchement…

_ Mais les rêves ah ! C’est incroyable, c’est là où l’on vit les plus belles histoires ! Que l’on devient, héros ou dragon, s’émerveille Gobelin en battant des cils, Ou encore ! Princesse, impératrice !

Il porte ses mains de part et d’autre de son visage, remuant langoureusement les hanches.

_ J’étais de toute beauté ! Magnifique ! Cheveux d’ébène réunis en une longue tresse épaisse, éventail à ma main, sourire serein sur mes lèvres, yeux bordés, de rouge, j’étais vêtu comme une reine, longues robes et jolie traîne…

Uiko lève les yeux au ciel.

_ Et c’est un rêve, ça ?

_ Bien sûr !

Proteste Gobelin, reposant ses poings sur ses hanches.

_ J’étais la plus belle des créatures sur terre ! L’on n’osait pas même franchir les rideaux qui me séparaient du monde ! Mais j’avais décidé de franchir l’interdit, je traversais ma chambre et ouvrais les portes pour contempler l’extérieur, sans même penser à couvrir mon visage !

Emporté dans son récit, Gobelin étend les bras comme s’il repoussait les portes qui l’isolaient…

_ Mais à peine le seuil franchi, des cris me parvenaient… Ma cité était en feu ! Le premier garde qui vint vers moi, s’arrêta sous la stupeur avant de s’écrouler, une flèche plantée dans le dos…

_ Oulà ce n’est plus vraiment un rêve là…, constate Kador, sans se douter qu’il s’agit d’une évidence… La réaction soudaine de Stolas alerte les mercenaires. Par réflexe, ils se taisent, alors que Gobelin s’approche jusqu’à s’accroupir près de Stolas.

_ Les sangliers sont des animaux nocturnes, explique Kador en les rejoignant, s’accroupissant à son tour. L’homme blond, tout sourire, touche directement aux empreintes et lève les yeux pour observer les environs.

_ Ils vont probablement chercher un coin d’eau où boire… Et doivent s’y tenir à proximité. Ca leur laisse la possibilité de se rouler dans la boue, la végétation y sera importante pour qu’ils puissent s’y nourrir… Suivons leurs traces pour l’instant. Et tendons l’oreille. Avec un peu de chance, ils ne se sont pas trop éloignés, nous devrions pouvoir les rejoindre…

Il tapote d’autres empreintes.

_ Il y a des petits avec eux. Le mâle que nous cherchons nous chargera dès qu’il nous verra… Et peut être que d’autres se joindront à lui, mais il y a des chances que le plus gros de la harde s’enfuie à notre approche. Faîtes attention au sens du vent. Nous devons les repérer avant qu’ils ne nous voient.

Kador est un chasseur expérimenté. D’ailleurs, il se redresse et tapote l’épaule de Stolas.

_ Laisse ton cheval là, ça risque d’être compliqué pour lui, la terre est meuble et là, il va falloir vraiment se faufiler. Je passe devant. Uiko, Gobelin ? Restez plutôt derrière ou en hauteur.

Uiko hoche la tête. Le jeune homme, avec une surprenante agilité, s’hisse déjà sur une branche et grimpe le long de l’arbre, jusqu’à sauter à un autre. Prudent dans son avancée, il s’accroupit pour tenter de voir autour d’eux, jusqu’à simplement indiquer une direction de l’index.

Gobelin, le nez levé, affiche un sourire amusé.

_ Oh… Le coin d’eau voire nos proies, ont tout l’air d’être dans cette direction. Quels conseils donnes tu, Kador ?

L’homme fait rouler l’une de ses épaules.

_ Essayons de les prendre sur 3 fronts… Mais ne fermons pas tous les accès, laissons leur une fuite possible pour permettre aux jeunes et aux mères de s’enfuir. Contentez vous de vous montrer, de paraître un peu menaçant, mais soyez prêts à vous écarter dès que le mâle va vous charger ! Être proche d’un arbre, ça peut être utile, on a de bons réflexes mais comparés à ces bestiaux… Et puis Uiko pourra l’avoir avec ses flèches, nous, on va essayer de l’empêcher de fuir, hésitez pas à utiliser vos armes pour l’affaiblir voire lui porter un coup fatal si vous pouvez, le but, c’pas d’faire souffrir l’animal ni le paniquer outre mesure.

Gobelin hoche la tête. Bien qu’il soit le chef des Mercenaires, il sait tout à fait et volontiers laisser la place à ses hommes… Peut-être est-ce d’ailleurs pour cela, qu’il dirige en réalité. Car il sait, à qui se fier, quand la situation l’exige.

L’homme se fond dans les ombres, sans plus un regard, disparait sans un son. Les ténèbres et la forêt sont depuis bien longtemps, sa maison.

Kador offre un sourire à Stolas, tapote son épaule, s’arme de sa hache, fait rouler ses épaules une dernière fois puis suit les empreintes.

Au dessus d’eux, Uiko saute de branches en branches, avec agilité. Le garçon n’a que trop pris l’habitude de cavaler sur les toits des bâtisses.

Les arbres sont resserrés. Les buissons sont épais, garnis de branches acérées, dont les piques se plantent dans les peaux qui ne sont pas protégées. La terre est extrêmement meuble, leurs pas s’enfoncent. Il fait sombre, et l’obscurité ne fait qu’accroître les sens.
L’on entend l’eau couler, plus loin. Et très rapidement, le grognement des bêtes.

Le vent souffle, envoie dans leur visage, les fragrances de la nuit qui tombent. Humidité de l’atmosphère, qui s’imprègne, l’odeur de la terre, celle plus douce, des herbes fraichement écrasées, et celle, musquée, du gibier. Ils sont une quinzaine. Des marcassins se courent après, sous la surveillance des laies.

Leur proie est une bête d’une centaine de kilos. Epaisse fourrure noire, corps trapu et bosselé, une flèche encore plantée dans l’épaule. Un craquement de branches, le sanglier lève son museau. Déjà, certains s’enfuient mais lui cherche le danger du regard…

Kador surgit dans un rugissement. Le sanglier baisse la tête, gratte le sol de son sabot, avant de lourdement s’élancer. Le blond guerrier l’évite d’une roulade sur le côté, mais n’a pas le temps de se redresser que déjà, le sanglier est sur lui. Un bruit sourd, une lance plantée dans le poitrail freine l’avancée de l’animal, les deux pieds campés au sol, Gobelin se fait repousser encore sur quelques mètres, jusqu’à ce que ses bras lâchent.

Dans un glapissement surpris, Gobelin, trahi par la maigreur de ses bras faméliques, a le bon réflexe de sauter suffisamment haut – la créature passe sous lui. D’un mouvement enragé de la tête, elle brise en deux la lance, dont la pointe traverse toujours son torse. Ses yeux fous repèrent cette fois Stolas et l’animal s’élance.

Sifflements stridents, l’animal en ligne de mire, reçoit une, deux, flèches dans son encolure, probablement vers la gorge, mais le cuir épais, protège encore suffisamment les artères. Malgré le sang qui coule et coagule, dans la fourrure noire, l’animal ne montre pas encore de signes de faiblesse…