tout au fond de la caravane, derrière les caisses d’épices et autre babioles, l’adolescent s’y est réfugié
à l’ombre des regards

les genoux repliés contre lui, le nez complètement enfoncé dans un parchemin, l’esprit absorbé par les mots couchés sur papier, on en vient à se demander
comment il fait pour lire ainsi, d’aussi près, le minois pratiquement collé au papier sans jamais s’en détacher.
dehors, il y a des éclats de voix, de rires, brouhaha quotidien qui rythme sa vie depuis si longtemps déjà.
les Im, toujours sur la route, pour la journée, se sont arrêtés. à l’heure qu’il est, le campement doit déjà être monté, les tentes, installées.
pourtant c’est toujours ici que lui trouve refuge.
loin du bruit, loin du reste.

du coin de l’oeil, il capte un mouvement, mais ne s’y intéresse pas plus que nécessaire.

« ah, saja. tu es là. je rêve ou on ne t’a pas vu de la journée..? en même temps, je sais pas pourquoi je suis surpris… » en réponse, l’adolescent lui offre un haussement d’épaules désintéressé, le nez s’enfonce davantage dans son parchemin. « tu ne devrais pas rester enfermé ici toute la journée. tu n’as pas envie de prendre un peu de soleil? »

« non.» l’adolescent lève la tête un moment, son regard sombre croise celui presque identique de l’homme.
quelques secondes passent, à se fixer ainsi dans le blanc des yeux, avant qu’il ne retourne à sa lecture et que l’homme, son grand frère, ne pousse un soupir à en fendre l’âme
avant de s’emparer du parchemin une bonne fois pour toutes, le tenir hors de sa portée.

« ryung….! rends-le moi!»

« sors. » du menton, l’aîné pointe l’extérieur. « je te le rendrai peut-être après. peut-être. »

sourcils froncés, saja le dévisage, un instant, visiblement mécontent
s’exécute néanmoins. l’homme se recule tandis que l’adolescent sort de la caravane, tend la main pour qu’on lui rende son bien.

« tu comptes me le donner ou bien… » sa moue boudeuse témoigne de son impatience. s’il tendait la main, peut-être pourrait-il atteindre le parchemin: saja n’a que quatorze ans, mais est déjà presque aussi grand que son aîné, sans savoir qu’il ne grandirait pas davantage dans les années qui suivront.
ce qui le retient de s’en emparer? la peur de déchirer ce papier si précieux.

« je te le rendrai plus tard. hé, me regarde pas comme ça. » l’homme éclate d’un rire tonitruant lorsque le cadet lui offre une tape sur l’épaule, soufflant du nez. « tu sais… il y a des choses qui ne s’apprennent pas, dans les écrits.. » l’adolescent hausse un sourcil à ses mots « par exemple… » le marchand regarde les environs, jusqu’à reconnaître la silhouette de la mercenaire que leur famille a engagé il y a quelques jours pour escorter leur caravane. « tu vois la demoiselle que voilà? je l’ai vu manier l’arc, un peu plus tôt. elle m’a l’air d’être une mercenaire expérimentée. va lui demander de t’apprendre, ça pourrait être une expérience enrichissante pour toi. »

« pas question »
« je ne te rendrai pas ton parchemin, alors… »
« ryung…!»
« vas-y. »

doucement, il souffle du nez. son regard s’est posé sur la mercenaire, plus loin. l’adolescent jette un regard à l’aîné Im, qui, d’un mouvement de tête, semble l’encourager.

saja s’avance, d’un pas lent, jusqu’à la rencontre de la mercenaire.

« hmm.. b..bonjour… »

il ne la regarde pas dans les yeux, semble presque se dandiner sur place,
à la manière dont il triture nerveusement ses doigts, l’on devine qu’il veut lui demander quelque chose sans toutefois arriver à se lancer.