La mercenaire se trouvait dans le Royaume pour quelques jours. Un contrat l'avait amenée à Nuhoko, où elle avait fait une rencontre étonnante. Puis, sur le chemin du retour, elle avait décidé de faire un arrêt. En réalité, rien ne l'attendait dans les Terres de Babel. Ce n'était pas vraiment son foyer, ce n'était pas sa maison, elle n'avait aucun chez-elle là-bas. ...Sur une note plus positive, on pouvait également dire qu'elle était partout chez-elle.

Amaryllis avait envoyé une lettre à l'intention de Zahira Dhjéser, une femme qu'elle avait rencontrée quelques lunes auparavant, et avec qui elle avait, à 2-3 reprises, partagé nourritures et alcools dans une ambiance décontractée. Deux phrases, quelques mots d'une écriture peu assurée. Dans cette lettre, la femme put lire: "Dans le coin pour quelques jours. Fief d'Helvar. Même taverne que la dernière fois. Amaryllis." Elle ignorait si la lettre se rendrait à Zahira avant son départ, ou si la femme serait disponible.
Tant pis si ce n'était pas le cas.

Pour couvrir ses dépenses, la mercenaire avait trouvé un petit boulot tranquille de jour; essentiellement, on l'a payait pour transporter des caisses. Un certain soir, Amaryllis entra dans la taverne, avec l'intention de boire et de manger, comme les soirs précédents. Elle avait bien évidemment laissé son arc à sa chambre et seule une petite lame était visible à sa ceinture. Peut-être parce que c'était Fènwa, les lieux semblaient plus mouvementés que les autres soirs de la semaine. Au fond de la salle, la mercenaire repéra une petite table libre. Pour s'y rendre, elle zigzagua entre les tables et les gens. Elle était pratiquement arrivée à sa destination, lorsqu'un homme la percuta et renversa de l'alcool sur ses vêtements.

Eh bah, ça commençait bien la soirée.

L'homme s'excusa, s'accrochant à Amaryllis et soufflant sa mauvaise haleine sur son visage. La soirée était à peine avancée, mais ce gars était déjà éméché. La mercenaire ne souhaitait pas créer de remous... elle le repoussa calmement mais fermement, causant une réaction en chaîne de petits incidents sans conséquence. Elle continua sa route comme s'il ne s'était rien passé, mais elle était maintenant de moins bonne humeur.

Elle soupira de contentement lorsque sa bière arriva devant elle. Elle prit une bonne gorgée; AAH...!, comme elle était bonne, désaltérante, fruitée! .
..Eh.
Un instant.
Amaryllis n'avait encore rien commandé! D'où sortait cette bière?
Soudainement, un homme fin vingtaine prit place à sa table. ...Ah. Voilà donc d'où provenait la bière.

Misère.

L'inconnu se montra plutôt sympa. Puis, la conversation s'égara et perdit tout intérêt aux yeux de la mercenaire. Elle n'avait jamais bu aussi rapidement. Pendant un bref instant, elle avait cru que l'alcool rendrait la conversation plus captivante, ou bien que la conversation s'améliorerait naturellement. Mais non; pas aux yeux de la mercenaire en tout cas; parler coton, laine, couleurs de matériaux et revente n'intéressaient pas vraiment la mercenaire.

Cela ne voulait dire qu'une chose: il était temps de dire à l'homme d'aller voir ailleurs. Toute la bière gratuite du monde ne valait pas d'endurer la compagnie de cet individu. Cependant, l'arrivée soudaine de Zahira dans la taverne détourna l'attention d'Amaryllis.

Le regard de la mercenaire s'illumina à la vue de la femme. Elle leva la main, pour attirer son attention. "...juste hier, j'en ai vendu pas moins d'une dizaine", disait l'homme lorsque Zahira arriva à leur niveau. À sa vue, l'homme s'exclama aussitôt: "Ah, douce dame! Je vous en prie, venez vous asseoir! Venez! Vous êtes amies, toutes les deux? Laissez moi vous inviter!"

Amaryllis enchaîna aussitôt:

«Contente de te voir Zahira. Ce monsieur aimerait te payer une bière, mais je dois te prévenir: ça a un coût. Tu devras supporter sa présence et sa conversation. Si tu me demandes mon avis, rien en ce monde ne vaut ça. Mais à toi de voir.»

La mercenaire afficha un mince sourire. Elle était curieuse de voir comment la femme allait réagir; allait-elle profiter d'une boisson gratuite? Ou chasser l'homme à coup de pieds dans le derrière, comme la mercenaire en avait précédemment eu l'intention?

L'homme assis à la table, la bouche entrouverte, affichait de la confusion. À croire qu'il n'avait pas remarqué le désintéressement flagrant d'Amaryllis à son égard, alors qu'il lui parlait du prix du textile.

Le plaisir que donne l'alcool
feat Zahira Dhjéser

Eh bien... Non, Amaryllis n'était pas très spontanée sur les accolades. En fait, elle n'était pas très spontanée de manière générale. Ni très souriante, ni très enjouée. Assez distante et sobre oui ; assez froide même, certains la qualifieraient ainsi. Néanmoins, on pouvait dire que l'alcool la réchauffait. D'autres choses arrivaient également à trouver le chemin vers son cœur... Comme les mets épicés, ou l’étreinte d'un amant, ou un paysage à couper le souffle. Mais il n'y avait aucune de ces choses-là ici. Seulement la chaleur que Zahira apportait avec elle et l'alcool qu'elle promettait de payer. Du moins, c'est ce que suggérait la bourse pleine sur la table, pas vrai?

Cependant, la mercenaire ne demandait ni ne recherchait la charité. Elle avait sa propre bourse à sa ceinture. Une bourse bien moins remplit, car elle dépensait son argent très rapidement. C'était l'un de ses quelques défauts : l'incapacité de mettre de l'argent de côté. Et mettre de l'argent de côté pour quoi? Pour ses vieux jours? Avec son style de vie, il était peu probable qu'elle vive bien longtemps. Elle avait d'ailleurs frôlé la mort, il y a quelques années de cela, et devait sa vie à une jeune Borgia.

Ainsi donc, l'homme fut chassé comme un malpropre, ce qui fit doucement sourire la mercenaire. La soirée s'annonçait de bien meilleure augure. Zahira, cette belle femme du désert, la gardienne des geôles ; elle n'avait jamais, jusqu'à maintenant, embêté Amaryllis de sa présence.

─ Tout cet argent... Amaryllis soupesa la bourse avant de la laisser retomber sur la table. ─ Est-ce ton budget d'alcool?

Amaryllis ne releva pas le "chère amie" ; ce n'était pas des mots qu'elle utilisait pour s'adresser aux gens, même ceux qu'elle appréciait.

─ Avant de discuter de nos aventures respectives, il faut te trouver quelque chose à boire.

La nomade leva le bras pour faire signe à la serveuse. Cette dernière se rendit à leur table pour prendre leur commande. Amaryllis commanda une autre bière. Lorsque Zahira eut donner sa propre commande, la serveuse repartit.

─ Contente que tu ai pu déchiffrer mon écriture. Je ne savais pas si tu viendrais, si tu pourrais te libérer. Dois-je conclure que c'est tranquille dans les geôles du Pharaon?