Hier, à la tombée de la nuit, tant de choses lui sont arrivées. Ce fût une renaissance. De la rencontre avec Gobelin à son départ, il lui a tant apporté. Le réconfort, l'écoute, le rire, la chaleur ainsi que de nombreux conseils qui l'ont aidée à prendre sa décision. Celle de quitter son doux foyer, une fois remise en forme et de se battre pour son amie. Non avec des armes mais avec des mots et des actes.

Lorsque ses lourdes paupières se ferment, le sommeil la gagne et les doux nuages retracent des rêves éphémères. Des songes de bonheur et de tendresse, des problèmes soufflés par le vent. Le ciel noir tombe, le soleil se lève et elle s'éveille. Celui qui lui a sauvé la vie n'est plus dans la maison. Une couverture sur le corps, un oreiller sous son visage, Lannah met un peu de temps à émerger. Cela fait bien longtemps qu'elle n'a pas aussi bien dormi. Aucun cauchemar ne l'a hanté et elle a l'impression de sortir d'un rêve. Que la veille n'est que le fruit de son imagination. Cependant, la présence d'un tissu vert émeraude à son chevet lui fait comprendre le contraire.

Ses résolutions ne sont pas des paroles en l'air et elle les tiendra. Envahie par une nouvelle adrénaline, Lannah se lève, attrape le drap et l'oreiller pour les déposer dans sa chambre puis, elle ouvre les rideaux. Les rayons du soleil brillent fortement aujourd'hui, ils éclairent son univers plongé dans les ténèbres que ses regrets ont provoqué. Libérée d'eux, elle revit une seconde fois. Et cette fois, elle ne commettra plus les mêmes erreurs. Elle ne fuira plus, ne se lamentera plus et ne blessera plus ses proches. C'est fini de culpabiliser et de rester la faible et pitoyable jeune femme de ses dernières années ! Elle sait exactement ce qu'elle doit faire.

Avant même de se nourrir, Lannah se dirige vers sa chambre. Elle y reste enfermée pendant plusieurs heures, la plume entre les doigts, elle rédige une unique lettre pour une personne tout aussi unique à ses yeux. Elle l'adore, elle l'aime profondément et c'est pourquoi c'est aussi long de rédiger cela au papier. Parce qu'elle choisit ses mots avec soin, veille à ne pas la faire souffrir mais à apaiser ses plaies.

Tout ira bien. Tout ira bien. Sehrazad comprendra. Elles sont amies. Les amies se disputent parfois mais elles sont liées par un lien invisible qui résiste à tout même au temps qui s'écoule.

La peur ne guidera plus aucune de ses décisions. Elle a décidé de l'enfermer au fond de son coeur et de ne plus jamais la laisser décider à sa place.

Lorsqu'elle sort de sa chambre, ses parents la regardent, le visage inquiet. Pendant plusieurs années, ils ont souffert avec elle. Ils ont eu si mal de la voir se détruire à petit feu. Lannah s'empresse de leur sauter dans les bras et de leur offrir un sourire éclatant qui les surprend. Revoir cette enfant, lumineuse leur met du baume au coeur et les mots qu'elle leur adresse ne font que prolonger cet état d'euphorie.


L'émotion passe dans le regard de son père, sa mère la serre dans ses bras, les larmes aux yeux. Cela fait tant de jours qu'ils espéraient la revoir ainsi. Pour l'occasion, ils ont demandé aux domestiques de préparer tout ce qu'elle voudrait, Inaya s'est même jointe à eux. Elle voulait être certaine que les goûts de sa précieuse fille seraient respectés à la lettre.

Pendant deux semaines, ils ont passé des repas de fête pour qu'elle reprenne du poil de la bête. Lannah a toujours été gourmande et elle ne se prive pas de grignoter et faire des réserves. Elle leur a parlé, de son objectif et ils ont tenté de la dissuader. Parce qu'elle est la prunelle de leurs yeux et qu'ils ne veulent pas la savoir dehors, à risquer sa vie. Son sac est prêt et elle est parée à surmonter toutes les difficultés. Ses parents ont compris qu'ils ne peuvent pas l'enfermer éternellement. Elle a trop longtemps végété. Cependant, sur le pas de la porte, ils essayent encore de la retenir.


Toc toc.

Avant qu'elle ne puisse poser la main sur la poignée de la porte, quelqu'un semble leur rendre visite. Lannah jette un regard à ses parents qui sont tout aussi surpris qu'elle. Ce n'est pas fréquent qu'ils aient des invités à l'improviste. Elle ouvre doucement la porte et observe la silhouette inconnue qui se présente devant ses yeux. Une belle adulte qui semble avoir drôlement chaud sous le soleil du Royaume. Un peu prise de cours, Lannah ne sait pas par où commencer.


Sa mère s'empresse d'organiser cette rencontre afin de la retarder dans son départ. Lannah gonfle des joues pour manifester son désaccord mais elle ne trouve rien à redire sur le moment. Elle pousse un soupir, tend sa main à son invitée afin de la guider vers l'arrière de sa maison là où elles pourront s'installer à l'abri du soleil. Les collations arrivent pour elle, la demoiselle et son serviteur. Elle s'assoit, le dos droit, le regard perçant et la voix claire.


Il faut qu'elle mène à bien son projet avant que ses parents ne trouvent d'autres raisons pour qu'elle ne reste avec eux.

Lannah ne peut pas perdre davantage de temps ici. C’est confortable d’être dans son foyer, d’être traitée comme une princesse et de ne manquer de rien mais ce n’est pas la vie qu’elle veut mener pour le moment. Elle doit partir sur les routes, convaincre les foules que Sehrazad est quelqu’un de bien et empêcher quiconque de lui manquer de respect. C’est cela, ce qu’elle doit faire. Elle ne changera pas d’avis. Elle a déjà patienté pendant deux semaines, c’est déjà trop. Et maintenant qu’elle a réussi à rassembler ses affaires et ouvrir la porte d’entrée, elle tombe sur une inconnue désireuse de s’entretenir avec elle. 

Le timing ne pouvait pas être plus mauvais que cela. Ce n’est pas de la faute de leur invitée mais, quelle misère. Comment est-elle censée tenir parole et avancer si tout la force à rester chez elle et continuer son quotidien ? Non, non. Il n’est pas question qu’elle abandonne. Lannah s’excusera d’être impolie, cela ne se fait pas et pourtant… Elle n’a pas le choix. Elle trépigne sur place, ses doigts sur son verre tapotant dessus pour montrer à quel point elle désire partir. Le soleil couché, elle risque de tomber sur des brigands et elle ne pourra pas se défendre. Elle est faible, elle sait à peine manier ses dagues. Et Seth n’est pas là pour l’accompagner… 

L’inconnue dévoile enfin son identité. Elle vient de Babel. Cela la surprend et elle cligne des paupières. C’est la deuxième fois qu’elle rencontre quelqu’un venant d’ailleurs. Quelqu’un qui désire apprendre l’histoire de la bien-aimée de Caspian… De Sehrazad. C’est un sujet douloureux. Lannah baisse la tête, ses sourcils se courbent et elle murmure avec regret. 


Est-ce seulement vrai ? Sehrazad l’a peut-être remplacée depuis le temps. Ce serait mieux pour elle. Qu’elle trouve quelqu’un qui ne lui tournera pas stupidement le dos comme elle l’a fait. Un soupir, son dos s’affaisse, sa tête tombe. Non ! Non ! Non ! Il ne faut pas qu’elle se laisse abattre ! Elle doit rester focaliser sur son but : garantir un meilleur avenir pour Sehrazad ! Elle secoue sa tête, se redresse et a une idée qui fleurit. Elle se lève, pose ses mains sur la table. 


Dans ce cas, elle pourra l’aider ! Super ! Elle a bien fait de ne pas partir tout de suite ! Lannah gonfle sa poitrine d’air, serre ses mains pour former des petits poings et s’exclame, excitée.


Lannah se rend compte qu’elle ne met pas assez les formes. Elle se décale de la table, s’approche de son invitée et s’abaisse peu à peu. Ses genoux se posent sur le sol sableux, ses mains aussi et elle baisse la tête, la supplie et l’implore de sa douce voix. Elle n’a pas d’honneur à défendre, elle n’a pas de fierté à protéger. Elle ne veut qu’aider sa seule et meilleure amie.

Ce n’est pas seulement important à ses yeux, c’est primordial. Depuis qu’elle s’est réveillée et qu’elle a fait le choix de consacrer ses années à se faire pardonner, Lannah ne se détourne plus de son but. Elle sait qu’il y a encore du chemin, que la route ne sera pas simple et que les difficultés vont s’accumuler pour lui barrer la route. La première est l’accord de sa famille qu’elle n’arrive pas à obtenir. Ils ont du mal à laisser partir leur précieuse fille. Sauf que quand l’oisillon désire quitter le nid, ses parents ne peuvent pas l’empêcher de s’envoler.

Les mots de la belle narratrice lui font plus de mal que de bien. Parce que sa faute est si grande, si blessante qu’elle a brisé quelque chose. Entre elles et entre les autres. Ceux qui sont au courant lui en veulent et la tiennent pour responsable. Et ils n’ont pas tort, elle est coupable. C’est pourquoi elle doit se racheter, qu’elle se moque bien de s’incliner devant les autres ou de les supplier. Elle n’a pas de fierté et elle s’est débarrassée de sa lâcheté. Ainsi, elle peut supporter toutes les remarques qu’on lui adresse sans décamper.

Lorsque Almire confirme la nature de son métier, un large sourire gagne le visage de Lannah, ses yeux étincellent de nouveau. Alors, en lui racontant ce qui s’est réellement passé, comme elle l’a fait avec Gobelin, elle devrait pouvoir faire taire les rumeurs qui circulent et reposent sur des spéculations ! La jeune couturière s’empresse de répondre, impatiente à l’idée de gagner une alliée dans cette quête difficile.


Lannah bascule sa tête sur le côté, par la suite, ne comprenant pas l’un des mots bien trop savants pour elle. Obscu-... comment ? Qu’importe ! Si elle s’exprime aussi bien, elle parviendra à changer l’avis de la population en un claquement de doigts, il ne peut en être autrement ! Aveuglée par sa naïveté, elle boit ses paroles, secoue la tête à chacun de ses mots et lorsque la belle Almire lui donne la parole, elle prend un peu de temps pour essayer d’être la plus claire possible.


Son coeur se serre, cette solitude n’a jamais cessé de la quitter. Depuis, elle se sent terriblement seule. Cependant, contrairement à avant, elle ne veut plus rejeter la faute sur les autres. Elle se refuse de redevenir celle qu’elle était.


L’émotion lui tord l’estomac. Elle reconnaîtra encore et encore ses fautes mais les confesser n’en reste pas moins douloureux. Une de ses mains se pose sur sa poitrine et elle déclare.