Lorsque Almire di Contini sort en ville, c'est toujours quelque chose.
Grande demoiselle de la noblesse que tu es, tu ne peux te permettre de renvoyer une image faussée. Toujours parée de tes plus beaux atours, avec une minutie qui fait blêmir tes domestiques : à chaque fois, ils savent que leurs efforts ne seront jamais à la hauteur de tes espérences. Toujours droite comme un i, la démarche calculée et assurée - on pourrait mettre une bibliothèque de livres sur ta tête qu'ils ne tomberaient pas. Ton sourire, il est accroché à tes lèvres, comme s'il avait lui-même était peint au maquillage.
Petite poupée parée, Almire di Contini est prête à sortir en ville.

Mais enfin, pourquoi une dame comme toi devrait se vautrer avec la fange de la population locale ? Une question qui t'a souvent torturé l'esprit, et pourtant, aujourd'hui tu sais que tu n'as d'autre choix, au risque de devoir tâcher tes habits immaculés. C'est que le nouveau métier de Narratrice te force à côtoyer n'importe quel milieu. Quelle torture...
Pourtant, tu ne voudrais pas retourner à ta vocation d'avant... Mensonges. En vérité, ce n'est pas que tu ne veux pas, c'est que tu ne peux pas.
Devenir Narratrice n'est qu'un prétexte, une couverture dorée pour cacher tes anciennes blessures.
Ton visage reste imperturbable, malgré ces pensées parasites qui te tourmentent. Peut-être - sans doute - est-ce parce que tes pas t'ont guidée vers ce quartier. Non loin du QG de l'Ordre des Chevaliers, quartier dans lequel tu passais plus souvent, autrefois. Est-ce la nostalgie, qui t'a guidée jusqu'ici ? Non, juste une mauvaise habitude dont tu dois te débarrasser, assurément.

Et pourtant, ce n'est pas le seul fantôme du passé que tu croises, ici.
C'est une petite silhouette, si petite que d'ordinaire, tu ne l'aurais pas remarquée, qui attire pourtant ton attention. Une petite et discrète silhouette, que pourtant tu reconnais immédiatement.
Freyja.
Freyja, un nom qui aurait du charrier douceur et souvenir, mais qui rime à la place avec douleur et repentir.
Elle avait été une amie durant ces quelques temps passés à l'Ordre. Ces quelques temps, avant l'accident.
Ce simple souvenir te fait frémir. Ce simple souvenir empêche ta courtoisie - et ton ancienne amitié - d'aller saluer la demoiselle.
Ce souvenir, et cette humiliation, surtout. Et par-dessus tout, tu refuses de subir une humiliation devant une amie.

-Fre...

C'est pourtant presque par réflexe - ou peut être par regret ? - que son nom a failli traverser tes lèvres. Tu te ravises au dernier moment, te mordant la lèvre.
Serait-ce la première fois que tu feras preuve d'incivilité ?
Car voilà que tes pas continuent, sans s'arrêter devant la Tempérance. Tes pas d'habitude si dignes, devenus trot précipité. Ton visage de porcelaine, devenu cramoisi.
Pardon.
Mais tu représentes tout ce que je veux fuir.