_ Gobelin vous remercie d’épargner son dos capricieux, Paladin. S’il se met au sol, en votre présence, ne lui en tenez guère ombrage : quelques mots ne suffisent pas toujours à vaincre les habitudes prises au fil des années.

Car combien même, quelques hommes le voient différemment, Gobelin sait, qu’aux yeux de la société, il n’en reste pas moins inférieur. Inégalités nécessaires pour offrir au monde, un semblant d’ordre. Car l’humanité imparfaite est une table branlante, et qu’il faut toujours un cale pour la maintenir. Une population, à mépriser. Un bouc émissaire, à écraser. Garantir la cohésion d’un groupe, par l’exclusion de quelques un.es, qu’on rejette pour leurs différences.

En ces temps de paix, alors que la guerre ne déchire plus les contrées entre elles, il n’est plus possible de simplement maudire son voisin, l’on n’a plus besoin de chercher aussi loin : la haine s’abat, sur celleux qu’on croise, l’esprit décèle, toujours une cause pour rejeter, cracher, mépriser.

Gobelin a accepté ce rôle, mais ne veut pas être considéré comme un simple misérable : il veut être, le croque-mitaine. Celui qu’on redoute d’approcher, qu’on hésite à malmener, qu’on ignore, qu’on craint, celui qui dégoûte, qui dérange. Il préfère alimenter ce rejet, que se le recevoir en pleine tête, donner des bâtons, pour se faire battre, plutôt qu’on lui fasse payer le simple fait d’exister.

Le jeune homme à ses côtés, a-t-il conscience de l’importance de sa proposition ? Comment réagirait-il, si Gobelin ne respectait pas les tenants de son titre, devant une assemblée ? Qui pourrait se servir de cette connivence, pour ridiculiser le jeune Adam, pour en informer ses parents ? Et eux mêmes, que diraient-ils à leur fils ? Le soutiendraient-ils, lui demanderaient ils de rappeler à ce vulgaire Gobelin, qu’il n’est rien face à eux ? Gobelin ne sait pas encore si Adam a les épaules pour endurer la pression de cette société, car être son allié, c’est accepter l’idée de défier le monde et cette si belle organisation, c’est donner un coup de pied dans la calle, et savoir que la table va s’écraser sur ses orteils, que tout le poids du monde, va peser, sur celleux qui ne veulent pas ou plus, préserver ce fragile équilibre.

Peut-être qu’entre eux, Gobelin veillera à satisfaire sa demande, et encore, même dans cette rue, il risque d’y avoir des regards, des regards qui donneront lieu à des rumeurs. L’Helvar, qui souffre déjà de ne pas être l’égal de son frère, pourrait-il supporter d’être vu, plus bas que terre ? S’il accepte d’offrir, respect et égalité de traitement, à celui que tant de société exècrent ?

Gobelin est bien assez âgé pour savoir qu’il ne peut pas totalement se plier aux demandes d’Adam. Combien même le désire-t-il ardemment, rêve t il, d’un monde plus juste, plus égal, il ne peut pas se permettre de le mettre en danger. Et préfère jouer, l’impertinent, l’impudent, le provocateur, le négligeant, que balancer Adam à la gueule du monde : combien d’ami.es, ont fini tout simplement bouffé ? Leur vaillance, la force de leur volonté, la puissance de leurs coups, la bonté de leur âme, n’a pas suffi à ce que l’on daigne les épargner.

Chaque acte de compassion, de gentillesse, envers celleux que la société déteste, est une prise de risques, avec des conséquences à payer.

Adam aurait-il pris sa défense comme il l’a fait, devant le Pharaon, devant ses parents ? Si les hommes qui l’avaient malmené, étaient armés, issus d’un autre peuple, forts d’un statut plus élevé que le leur ?

Perdu dans ses réflexions philosophiques, le Gobelin erre au travers des étales, questionne, observe, paye, ajoute dans un petit sac, quelques vivres.

Adam apporte finalement, quelques réponses à ses questions. Gobelin hoche gravement la tête, bien qu’il se cure l’oreille de son petit doigt. Une part en lui, reste persuadée que certain.es sont en effet, plus élevé.es que d’autres. L’Impératrice est si belle, comment serait il possible de la voir autrement ? Mais la part animale en lui, lui susurre que tous les Hommes saignent : d’un sang rouge. Et que tout ce qui saigne, est égal face à la Mort.

Qu’aucun, ne sera épargné par les malheurs.

L’argent, la puissance, le pouvoir, n’offrent pas la sécurité, pas l’amour, pas la sécurité.

Gobelin s’appuie songeusement sur sa lance, plantée dans le sol.

_ Il n’y a rien d’idiot, dans votre raisonnement. La Déesse offre à chaque individu, le droit de vivre et le mérite d’exister. Vous respectez ce droit qu’elle a donné à chaque être. L’homme est-il en position de juger ? En a-t-il même l’autorité ? La Déesse l’a, en tant qu’être supérieur. Mais l’Homme ? … C’est probablement ce pourquoi celleux qui rendent la Justice, sont souvent Celleux en position de Pouvoir. Et sur quoi appuient ils leurs jugements ? Des lois, dictées par les Hommes et non la Déesse. Comment les interprètent-ils ? Avec toute leur subjectivité. La Justice, n’est donc ni égale, ni objective, tout du moins, pas celle que les Hommes mènent.

Songe Gobelin en fermant les paupières, cognant à deux reprises son front contre le bois.

_ Mais la Déesse, peut elle punir ? N’est-elle pas, être de pardon, d’amour, de bénédiction ? Peut-être est-ce pour cela, qu’elle laisse aux Hommes le soin de Juger. Être juste, juger, justice, des mots si proches et pourtant, aux conséquences si différentes, des concepts presque, qui s’opposent.

Ses paupières s’entrouvrent.

_ C’est un sujet complexe et Gobelin n’a pas vraiment de réponse. Mais la vôtre, me convient.

Car cela lui donne, le droit d’exister. Face à la portion de viande séchée, Gobelin cligne des paupières à deux reprises. Ses mains recueillent précieusement la viande séchée, qu’il observe encore longuement, sans croire qu’une telle offrande, est réellement pour lui et les enfants. Sa tête brinquebale, ses lèvres s’entrouvrent, se referment, muet comme une carpe, est le Gobelin, avant qu’il ne tombe à genoux et ne courbe l’échine, à deux reprises.

_ Merci, merci ! Vous êtes trop bon, Seigneur Adam ! Les enfants seront très heureux, Gobelin la leur donnera, il vous le jure devant la Déesse !

Gobelin se redresse d’un bond, le visage éclairé d’un grand sourire, s’empresse de ranger la viande en gazouillant. Adresse, une oeillade à Adam, avant de rabaisser les yeux. Sourire, s’efface légèrement, se fait plus malicieux, derrière la longue rigole de cheveux noirs, Gobelin minaude.

_ Oui, oui, par choix ! Mais pas pour, le sang ou la guerre, non, Gobelin, ce n’est pas pour ça, qu’il est mercenaire. Et si l’on vous dit, que c’est pour détrousser les nobles, les demoiselles ou les cimetières, ah ! N’écoutez donc point. Gobelin est vilain, mais pas au point, au point de semer le mal, non, non, il préfère, apporter l’espoir. Mais peut-être serait-ce une jolie histoire, à raconter un jour ? Comment Adam Helvar, est devenu scribe et Paladin d’un jour, et comment un petit Gobelin, est devenu le Chef des Lanternes Vertes, un Mercenaire ? Gobelin aime les histoires, et quoi de mieux qu’un Helvar, pour les écrire ? Un jour, peut-être que Gobelin fera appel à vos nombreux talents, pour que l’histoire de certaines âmes, ne disparaît pas, malgré le temps et les années, pour que l’espoir, continue à briller, même au fin fond, des coeurs les plus oubliés ou de ceux contraints, de se cacher.

Gobelin, comme toujours si bavard, laisse les mots affluer, alors que le to, se fait plus doux, se fait, murmure, comme un ultime hommage, à ces ami.es qui n’ont pas survécu. A celleux qui n’ont pas eu, sa chance.

Chance. Comme celle d’être tombé sur ce garçon, au sein de cette ville. Qu’il soit passé, par cet endroit, à cet instant, et qu’il ait osé, intervenir.

_ J’enverrai une jolie lettre, pour prendre des nouvelles et peut-être ! Partager le récit d’un petit Gobelin, si un jour, le Scribe souhaite les écrire ! Et si ce n’est pas l’Histoire avec un grand H, qu’ils écriront ensemble, ce seront plein, plein de petites, qui feront plaisir aux enfants et rêver les plus grands.

Roucoule Gobelin, tortillant les hanches avec une certaine impatience, puis, d’un bond, s’écarte, salue Adam de la main.

_ Prenez soin de vous, Paladin ! Faîtes attention à vous ! Gobelin serait ravi de revenir vous voir ! Et n’oubliez jamais, n’oubliez pas, qu’aujourd’hui, vous l’avez sauvé, vous lui avez permis, de vivre un peu plus !

De garder espoir, en l’Humain.

D’un rire, la créature disparaît, se fond dans la foule, il redevient, simple erre.