Lors de son éveil à l'aube de ce nouveau jour, Sirius n'avait aucune raison de penser qu'il serait bien différent de tout ceux vécus précédemment. Le reste de la matinée ne lui avait pas non plus indiqué un quelconque changement dans sa routine habituelle. Un entraînement intensif, une pause le temps de se sustenter et une nouvelle session d'entraînement l'après-midi. Alors bien sûr, lorsqu'une invitation à boire le thé arriva, Sirius avait de quoi se sentir chamboulé.

Surtout en sachant que cette invitation ne venait de nul autre que sa mère.

Le premier réflexe du jeune homme était de se creuser les méninges dans l'espoir de trouver la raison de cette demande soudaine. Avait-il fait quelque chose de répréhensible ? Ses efforts à l'entraînement étaient-ils insatisfaisant ? Quelle erreur a-t-il bien pu commettre pour justifier cette convocation ? Certes le terme "invitation" avait été utilisé cette fois-ci, mais n'était-ce pas simplement une autre façon de l'informer que sa présence au sein du bureau de la Duchesse était requise au plus vite ?

Peu importe. Il ne fallait pas la faire attendre plus que nécessaire. Pourtant, il était impératif à ses yeux de se rendre présentable. Il ne pouvait décemment pas se présenter en tenue d'entraînement, crasseux et empestant la sueur devant sa mère. S'il avait effectivement quelque chose à se reprocher, cela ne ferait qu'empirer sa situation. Mais s'il s'était en réalité montré irréprochable — chose dont il doutait fortement —, alors répondre à son invitation avec une apparence négligée attirerait sans aucun doute le courroux de Barbara.

Après de trop longues minutes à batailler avec des mèches rebelles et lisser ses vêtements, il était prêt.
... Du moins, il espérait l'être. Impossible de calmer ses nerfs et lorsqu'il pose son regard sur Arabelle, une pointe d'irritation se mêla à sa nervosité.

— Pourquoi ce sourire ? Il plisse les yeux alors que le sourire de la servante s'élargit. Tu sais à quoi rime cette invitation. Évidemment.

L'idée de lui soutirer des informations lui traverse l'esprit, mais Sirius se ravise. Interroger Arabelle prendrait beaucoup trop de temps, un temps qu'il n'avait pas et il n'obtiendrait probablement pas de réponses satisfaisantes. Autant faire face à cette situation dans l'état. Il était un Nyugard, il n'avait peur de rien.

Sauf de sa mère visiblement. Le cœur battant douloureusement dans sa poitrine, Sirius contracte et décontracte ses mains moites et expire profondément pour relâcher un peu de pression. Pas très efficace, mais interdiction de faire marche arrière. Il toque à la porte attend. La réponse arrive rapidement, peut-être trop vite à son goût. Alors qu'il ouvre la porte et pénètre dans le bureau, Sirius se surprend à penser que patienter un peu plus longtemps ne l'aurait pas dérangé, bien au contraire.

Alors qu'il prend place sur le canapé, de nombreuses l'interpellent. Premièrement, la présence de pâtisseries soigneusement disposées sur la table qui ne manquent pas de lui donner l'eau à la bouche. Son regard s'illumine légèrement et ses lèvres tressaillent alors qu'il retient tant bien que mal un sourire à la vue de ses mets. Ensuite, la tasse de thé placée devant lui et contenant probablement une quantité outrageuse de sucre. Tous les serviteurs savaient que c'était ainsi que le garçon aimait son thé. Et dernièrement, l'emplacement où se situait Barbara. Il pensait la trouver derrière son bureau, comme à chaque convocation. Pourquoi ce changement ? Non, pourquoi ces changements ?

À sa connaissance, sa mère n'était pas spécialement friande de mets sucrés. Il ne voyait pas non plus pourquoi elle préparerait tout ça pour lui. Et pourquoi avoir choisi le canapé plutôt que son bureau ? Attendait-elle un invité spécial après leur entretien ? Cela lui semblait être bien plus plausible.

Les quelques secondes que sa mère prend pour prendre une gorgée de son café lui semblent durer une éternité. Il suit son exemple en sirotant son thé et il lui faut toute la volonté du monde pour ne pas sursauter lorsqu'elle recommence à parler. Droit comme un i, il écoute attentivement en s'attendant à des réprimandes.
... Qui ne viennent jamais. Mais peut-être viendraient-elles plus tard. Pour l'instant, autant répondre à ses interrogations, aussi inhabituelles soient-elles.

— Tout va bien. Mon entraînement se déroule sans encombre, mais hum... Il se frotte la nuque, gêné. Une nouvelle épée ne serait pas de refus. La mienne s'est malheureusement brisée ce matin.

Il s'en sortait bien pour l'instant, n'est-ce pas ? Peut-être que ce face-à-face ne serait pas si terrible que ça, finalement. Un peu plus détendu, Sirius se permet de reprendre une gorgée de son thé tout en œillant les nombreuses pâtisseries. Il manque tout juste d'avaler de travers lorsque sa mère passe à un sujet bien différent.

— Mes prétendantes ?

Il répète bêtement, sans doute pour gagner du temps. Que dire ? Il ne pouvait pas lui révéler sa négligence volontaire à ce sujet-là. Pourtant, il aurait dû s'attendre à ce qu'elle mette ce sujet sur le tapis. À son âge, ses parents étaient mariés et attendaient déjà son premier enfant qui n'était autre que lui-même. Sirius était en retard, il en était bien conscient. Peut-être était-ce là la raison de sa présence dans ce bureau.

Il n'a heureusement pas besoin de lui fournir une réponse de suite, étant donné que cette dernière prend à nouveau les devants. Ses paroles le rendent cependant encore plus confus : jamais il ne se serait attendu à ce qu'elle parle de la relation qu'elle entretenait avec son père. Jamais il n'aurait cru entendre le terme "grand amour" sortir de la bouche de sa mère.

— Je... ne pense pas être encore à ce stade avec l'une d'elles...

Pour ne pas dire qu'il n'avait fait aucun progrès dans ce domaine. Mais, aucune raison de le mentionner si elle ne le lui demandait pas directement. Sirius pose sa tasse et fixe son regard sur le fond de celle-ci en fronçant légèrement les sourcils.

— N'est-il pas plus important de trouver une prétendante avec qui mon union serait un avantage pour nous ? Que je ressente de l'amour pour elle ou non est accessoire, non ?

C'était la première fois qu'il partageait ce point de vue avec sa mère. Un point de vue qu'il était persuadé de partager avec elle jusqu'à maintenant. L'idée qu'il puisse s'être trompé le troublait grandement et sa confusion se reflétait pleinement sur son visage.

Il hoche la tête, pensant qu'une simple épée suffirait amplement, croyant qu'une quelconque forme d'avidité ne serait pas tolérée. Il y avait pourtant tant de choses que Sirius désirait, même inconsciemment. Tant de choses qu'elle seule était en mesure de lui donner. Ces actes si naturels pour certains, mais tout à fait singuliers pour les Nyugard qui caractérisait une relation saine entre une mère et son enfant. Mais, Sirius n'en demandera rien. Il s'est depuis longtemps convaincu qu'il n'en avait aucunement besoin. Du moins, c'est ce qu'il aimait à croire.

Cela n'avait pas d'importance dans la présente situation. Actuellement, le jeune homme écoutait les paroles de la Duchesse concernant le mariage, œillant de tant à autre les pâtisseries sans pour autant oser se servir. Il ne tenait pas spécialement afficher son amour pour le sucre devant sa mère et le sujet actuel n'aidait en rien à le mettre à l'aise. Honnêtement, Sirius ne s'était jamais réellement soucié du bonheur que son futur mariage pouvait lui apporter. En tant que noble, il pensait que, tant qu'il parvenait à instaurer une certaine harmonie avec son épouse — assez pour qu'ils ne se méprisent pas mutuellement — et qu'il produisait des héritiers, ce serait suffisant. L'amour et le bonheur ne lui apparaissaient pas comme des éléments indispensables de l'équation.

Il se permet un léger sourire, amusé par l'idée que son union avec une roturière puisse être une possibilité.

— Je ferais en sorte de trouver un bon parti alors.

Pas de promesse de trouver l'amour de sa vie comme elle a eu la chance de le faire avec Lief. Ce genre de choses lui passaient complètement au-dessus de la tête. Il préférait ne pas trop y penser. Heureusement, ils semblaient être arrivés au terme de la conversation. Et c'est dans ce court moment de répit que Sirius se permet enfin de prendre une pâtisserie. Un chou à la crème qu'il s'efforce de ne pas dévorer après la première bouchée. Il ne peut cependant pas complètement masquer sa satisfaction que lui apporte la consommation de ce met sucré. Arabelle lui disait souvent que son visage s'illuminait lorsqu'il mangeait des sucreries. Gêné, Sirius lui répondait que l'âge commençait sans doute à la rendre sénile.

Il commence enfin à prendre ses aises. Bien sûr, cette situation n'avait rien de naturel et il s'attendait encore à ce que la réelle raison de cette convocation — une reproche selon lui — soit mentionnée. Mais au moins, l'héritier se sentait un peu plus apte à faire face à la situation, bien plus qu'il ne l'était au début.

Rien n'aurait pu le préparer à la direction que leur échange allait prendre. Il manque de lâcher son chou à la crème et ne cherche même pas à cacher sa stupéfaction. Était-il entrain de rêver ? S'était-il cogné fortement la tête ce matin, assez pour se retrouver dans un état second et s'imaginer un tel scénario ?

Car c'est bel et bien des éloges que sa mère venait de lui faire. Et Sirius ne savait pas du tout comment réagir à tout ça. Il devait avoir l'air si vulnérable à la fixer avec la surprise marquant son visage. Une pointe de tristesse qui se mêle à du soulagement, aussi. Il pince ses lèvres, baisse la tête et pour la première fois depuis son arrivée, ses épaules s'affaissent et l'imagine de l'héritier droit et fort qu'il s'est efforcé à construire s'effondre.

Et il ne relève pas la tête. Pas dans l'immédiat, par peur que les larmes qui semblaient montées à ses yeux ne finissent par réellement couler. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas pleuré... Aucune chance qu'il ne laisse libre cours à ses larmes devant Barbara. Il ne se le permettrait pas.

— Je... Sa voix craque, alors il s'interrompt et se permet un petit instant de répit. Quelques secondes pour se reprendre en main. Et enfin, il relève la tête, un sourire fier étirant ses lèvres. Merci Mère.

Il se redresse à nouveau. Après ça, il a l'impression d'être capable de tout. Pourtant, ce n'est pas assez. Il ne fait jamais assez à ses yeux, peut et doit faire mieux. Toujours mieux.

— Je ne vous décevrais pas. Que ce soit pour le Tournoi ou quoi que ce soit d'autre.

De grandes promesses. Mais Sirius a toujours travaillé dur pour répondre à toutes les attentes. Ce n'est pas maintenant qu'il allait arrêter. Surtout pas lorsque cela concernait le Tournoi des Souverains. Ce fameux Tournoi durant lequel la victoire avait échappé à la Duchesse. Une défaite pour laquelle l'héritier ne pouvait pas s'empêcher de ressentir de la culpabilité, persuadé que son existence même avait empêché sa mère de montrer son plein potentiel.

Dans une autre réalité, une où Sirius Nyugard n'avait pas vu le jour, il était persuadé que le Nyugard étaient parvenus à reprendre ce qui leur revenait pourtant de droit. Alors, le jeune homme devait faire de son mieux pour compenser les dégâts occasionnés par sa naissance. Il lui devait bien ça.

— Le Tournoi des Souverains... C'est ce dont vous vouliez me parler ?

Elle ne l'avait pas appelé simplement pour le complimenter... N'est-ce pas ?

Les marques d'affection ne faisaient pas parties du quotidien de l'héritier. Elles n'avaient pas leurs places dans l'éducation qui lui avait été imposée jusqu'à maintenant. C'était presque comme si le sang de Nyugard coulant dans leurs veines les empêchait de faire preuve de tendresse sans que cela ne soit perçu comme anormal par les autres ou par eux-même. Alors personne ne pouvait réellement blâmer le jeune homme du fait qu'il ne sache pas du tout quelle était la réaction appropriée face au geste inhabituel de la Duchesse. Un geste accompagné par des paroles qu'il n'aurait jamais cru entendre de sitôt.

Elle caresse ses cheveux, l'action courte — peut-être un peu trop à son goût —, mais ces quelques secondes suffisent amplement à chambouler Sirius. La sensation que ses joues se réchauffent, l'envie d'afficher un sourire en recevant la tendresse de sa mère et le manque qui s'installe lorsque sa main se retire. Ce n'était pas censé se passer ainsi. Il n'était pas censé ressentir une chose pareille, faire preuve d'une quelconque vulnérabilité. Sirius ne voulait pas admettre que ce geste lui avait apporté une si grande joie, que l'envie d'en redemander le démangeait. Comme un enfant. Mais il n'en était plus un, du moins, il ne voulait plus être vu comme tel.

Ne sachant pas comment gérer ses sentiments conflictuelles, il décide tout simplement de ne pas le faire. Retrouver son calme et rediriger la conversation. Il est bien plus facile d'ignorer ses sentiments que de s'y confronter et lorsqu'il s'agissait de toutes choses touchant à l'émotionnel, Sirius choisissait systématiquement la facilité.

Il se sent étrangement plus détendu après avoir abordé le sujet du Tournoi. Peut-être parce que les propos de la Duchesse ont eu l'effet de le rassurer concernant ses performances futures. Suffisamment à l'aise pour se permettre de reprendre une gorgée de son breuvage, le jeune homme manque pourtant presque de s'étouffer avec lorsqu'une sculpture en bois est dévoilée. Sa sculpture. Comment ? Pourquoi était-elle en sa possession ? Elle n'était pas entrée dans sa chambre, il en était sûr et certain. Cela ne lui ressemblait pas du tout. Quoique, s'il y a bien une chose qu'il allait retenir de cette rencontre, c'est qu'il lui serait judicieux de revoir ses attentes concernant l'attitude de sa mère. Mais ça pouvait attendre.

Pour l'instant, il était bien trop occupé à paniquer intérieurement.

Son corps se crispe et sa prise sur sa tasse se resserre dangereusement. Étant donné le ton adopté par sa mère, elle ne devait pas voir cette occupation d'un bon œil. Il déglutit nerveusement et repose sa tasse sur la table avant qu'elle ne se brise entre ses doigts ou qu'il n'en renverse le contenu avec ses légers tremblements. Il a presque envie d'arracher l'effigie à sa mère et de s'en débarrasser sur-le-champs.

— Depuis quelques années...

Neuf ans pour être exact. Mais Sirius n'était pas sûr que ce soit une bonne idée de le mentionner. Comment réagirait-elle en apprenant que son fils avait perdu autant de temps sur une chose pareille ? Mais si c'était le cas, pourquoi lui offrir l'opportunité de pratiquer cet art plus confortablement ? Était-ce un test ? Il rit nerveusement, il a l'impression que son cœur tambourine dans sa tête qui se fait douloureuse.

— Oh ce ne sera pas nécessaire. Je n'en fais plus vraiment ces derniers temps.

Un mensonge. Sirius était assis face à sa mère et il venait de lui mentir, chose qu'il n'aurait jamais imaginé faire avant aujourd'hui.

— Et puis, ce n'était rien de sérieux. Juste un passe-temps de mon enfance, rien d'important. Il serait peut-être temps de passer à autre chose.

Au fond, il savait bien que c'était bien plus qu'un simple passe-temps. Sirius se souvient encore du soldat qui lui avait fait découvrir cet art. Il se souvient aussi de la manière dont ce dernier avait perdu la vie en tentant de la protéger de cette fameuse tentative d'assassinat. En sculptant, il avait l'impression de lui rendre hommage. Il fallait dire qu'à l'époque, le petit Sirius s'était réellement pris d'affection pour ledit soldat.

— Cela ne vaut pas la peine de vous déranger pour ça, Mère.

Il dit avec un sourire mal assuré qui ne lui ressemblait absolument pas.