Les hommes s’échangent un regard amusé.

L’un d’eux crache par terre, un autre observe les environs, le dernier s’approche de la jeune femme, le visage barré d’un sourire mauvais. Sa main se lève, s’apprêtant à la saisir.

_ Tu veux qu’on te donne une raison de les appeler ? Ricane-t-il.

_ Tu veux me donner une raison de te tuer ?

Les mots surprennent le voleur. Décontenancé, l’homme cligne des paupières, arrête son geste, se retourne. Ses yeux vont vers ses comparses, qui, décontenancés, s’échangent un regard. Les torches balaient l’obscurité, et combien même les éclairent-elles, elles ne font qu’accroître les ombres.

Un son se fait entendre. Un grincement, comme une porte aux charnières rongées de rouille, s’anime sous la pression du vent. Mais il n’y a aucune brise. Le son, s’accroît, gagne, en ampleur. L’horreur, quand l’on comprend que ce son, ce son vient bien de quelqu'un, non, de quelque chose. Ce son, ça provient d'un larynx écrasé, d'une gorge broyée, d'une cage thoracique, perforée.

_ MONTRE TOI !

Le brigand aboie, d’un bond, il jaillit, affronte les ténèbres. Sa torche va et vient. Rien. Rien, si ce n'eut été, un soudain silence. Le monstre, a-t-il pris peur ? Son visage s'éclaire d'un sourire de défi, jusqu'à ce qu'une lumière attire son regard. Un feu. Pas le sien. Le feu, le dévore.

Le feu prend, le vêtement de l’homme, qui s’étrangle lorsque sa tunique s’embrase. Il hurle et se jette, face contre sable, se roule dans la poussière. Sa torche s’éteint, il disparaît, dans les ténèbres.

_ Tout va bien ? Apostrophe l’un des brigands.

_ Ca vARGH !

La voix s’étrangle, laisse place à un hurlement brusquement réduit au silence. Le brigand le plus proche s’élance, lorsqu’il arrive sur la scène, il n’y a plus aucune trace de son comparse : que le sable, creusé, une traînée, le corps a été emporté. Le brigand recule de deux pas, ses yeux observent nerveusement l’obscurité. Tremblant, il dégaine son épée de sa main libre, imité par les autres.

_ QUI EST LA ?! QU’EST CE QUE VOUS VOULEZ ?

Le silence.

Tous retiennent leur souffle. La nuit elle même, n’a plus d’étoiles. Sa lune dissimulée, par un voile noir. Elle porte le deuil, de toutes ces âmes que le désert a emportées. Le sable étouffe les pas, les torches, au lieu de les aider, font qu’ils sont si faciles à repérer. Et leur lumière, les aveugle. Les brigands ne voient plus, où se terre le danger.

Ils se rassemblent, dos les uns aux autres, à proximité du bétail.

Soudain, une comète embrasée déchire la pénombre. L’objet grésillant retombe, roule jusqu’aux pieds des voleurs, une détonation. Les hommes ont hurlé, leur groupe a éclaté, alors qu’un nuage de fumée s’est élevé. Pris de panique, plusieurs d’entre eux se sont enfuis, il ne reste que quelques uns, qui se relèvent en tremblant. Il ne reste qu’une torche, qu’un homme saisi, élève, pour voir.

La lumière se reflète au fond d’yeux, luisants dans la pénombre. Puits, d’obscurité, où la lumière se reflète, comme le pâle reflet d’une bougie tremblote, sur la surface d’une mare d’eau croupie. Le visage dévoré d’ombres, s’extirpent entre les pans de nuit, masque de porcelaine, masque mortuaire, fendu d’un rictus, qui déchire de part et d’autre le faciès. Dents aiguisés, la langue s’extirpe comme un ver des mâchoires entrouvertes. L’homme voit, la Mort, un cri étranglé s’arrache de ses lèvres, la créature jaillit. Ses mains, aux très longs doigts, aux très, très longues griffes, aux bras interminables, saisissent le visage de l'homme, dans un rire à glacer le sang, le monstre le tire vers l’avant, l’homme perd l’équilibre, hurle et s’étouffe, la torche laisse voir, l’homme traîné dans l’ombre, avalé par la nuit.

Les 2 brigands restants tombent au sol, se redressent et prennent la fuite et un calme surnaturel reprend soudain ses droits.

Les moutons, nerveux, bêlent et s’agitent.

Les minutes passent.

La lune jette un discret regard, timide, derrière un rideau de nuage. Une torche abandonnée, éteinte, est ramassée. Allumée, d’un geste de la main. Le bras qui la tient, est osseux. Terminé d’ongles acérés. Souillés de terre et de sang. La torche se lève lentement, dévoilant les pieds nus, le kimono vert. Il est de petite taille, pour un homme. Famélique, nez aquilin, yeux verts, longs cheveux noirs, large front et mâchoires discrètes, joues creusées et orbites enfoncés, Gobelin marche d’un pas lent, jusqu’à ce que sa lumière éclaire la jeune femme.

Un sourire étire ses lèvres, lubrique, ses paupières retombent lourdement sur ses prunelles, langueur d’un fauve, prêt à bondir.

_ Oooh, voilà.

La voix coasse, la créature bascule soudainement en position accroupie, la torche toujours levée, pour les éclairer.

_ La fille, la fille qui gémissait.

Pouffe-t-il en penchant la tête sur le côté.

_ Est-elle blessée ? Est ce que tout va bien ? Les brigands sont partis. Ils ne reviendront pas de si tôt, foi de Gobelin !

Car lui, n'a rien d'un mouton, car lui, n'a rien d'un loup, il n'est pas même humain.

Il est, créature de nuit, il alimente, les histoires et les cauchemars, il est Gobelin.

Les larmes dans ses yeux, rosée bordant les feuilles, à l’aube d’un nouveau  jour ; sait-elle, qu’elle va enfin vivre ?

Car les hommes, ne l’auraient pas épargnée. Gobelin sait, quels sévices ils lui auront infligée. Mercenaire, payé à tout faire, plus particulièrement la guerre, ses yeux ont vu, toutes les atrocités que l’Humanité était capable d’infliger, sous couvert de valeurs, comme la justice ou l’honneur. Ou encore, justifier l’ordre du monde : car il y aura toujours, proies et prédateurs, victimes et bourreaux, faibles et puissants, car il faudra toujours, des sacrifices. Du sang, des larmes, des corps, qui ne rassasieront jamais les Bêtes lovées derrière les masques des Hommes.  Il y aura toujours de quoi, justifier les crimes et apaiser la conscience du mal faits.

Gobelin sait, qu’il ne vaut pas mieux. Et ces hommes, combien même les a-t-il effrayés et combien même, les fera-t-il souffrir, eux aussi verront l’aube, se lever.

Il espère seulement qu’ils ne souilleront pas, sa compassion ; qu’ils reviendront, sur un chemin plus droit.

Lui d’habitude si bruyant, retombe dans le silence. Les lèvres tremblotantes de la jeune femme requièrent, toute son attention. Les coudes sur les genoux, les bras tombant, la torche dans sa main, finit par se lever un peu plus vers elle, comme pour l’inviter à s’en saisir.

Car les monstres comme lui, se sentent plus à l’aise dans l’obscurité.

Et que la lumière, il espère, pourra la rassurer.

Le geste est doux, ne s’accompagne d’aucun son : ses yeux unis aux siens, il incline seulement la tête vers la hampe qu’il lui tend.

_ Prenez la. Ne restez pas dans les ombres.

Sa terreur, le rassure : la jeune femme sait identifier la menace, les dangers, cela ne rend son acte, que plus courageux. Car elle a osé tenir tête à une bande de voleurs, sans autre arme que sa seule voix et ses bien maigres bras.

Sa terreur,  l’attriste : la jeune femme est tétanisée. Elle supplie, ses mains s’agrippent à la terre, ses genoux s’entrechoquent, l’air lui manque, les mots, s’affolent, trébuchent, s’arrêtent, comme si eux-mêmes, craignaient d’être emportés. Il ne tire aucun plaisir, à ce spectacle.

Sa terreur, l’écoeure : car la jeune femme, le renvoie à tout ce qu’il montre. A son visage hideux, ses manières dérangeantes, à cette réputation, cette saleté de rumeur, qu’il serait, MAUDIT ! Elu, de Nergal, progéniture, de Calamité, porteur de Malheurs, son existence abjecte, est une insulte à la Déesse, il est, abomination, imperfection, dans ce monde si beau.

Ce masque, l’a sauvé tant de fois, c’est un bouclier derrière lequel il peut se protéger des insultes, des menaces, des dangers, mais qu’il est parfois lourd, d’être ce qu’il est.

Il s’en veut, de l’avoir tant effrayée, il se traite, de tous les noms, Affreux, vilain, Gobelin, il déteste lui aussi, sa plus profonde nature, que donnerait-il, pour s’écorcher et découvrir sous cette peau blafarde, élégant visage ? Mais il n’y a rien, rien d’autre que de la chair et du sang, ce corps, c’est tout ce qu’il a pour vivre, il doit se faire à l’idée, qu’il sera toujours laid.

_ Ce n’est pas pour vous, que je suis venu. Mais pour ravir, ces âmes des plus mal intentionnées. Vous n’avez rien à craindre de ce misérable petit Gobelin, il ne vous fera pas de mal.

Gobelin sourit, penche doucement la tête sur le côté, produit doux sons, semblables à des gazouillis.

_ Tout va bien. Le danger est loin. Aussi monstrueux soit-il, Gobelin a éloigné les dangers, en sa présence, rien ne vous touchera, jusqu’à ce qu’il doive repartir. Gobelin n’était que de passage, lorsqu’il a entendu votre cri ! Ils étaient si nombreux, pour une seule personne, Gobelin ne pouvait qu’intervenir. Il ne les aurait jamais laissés, faire quoi que ce soit à la douce âme, à ce petit éclat de lumière, dans l’obscurité profonde, d’un monde si dur.

Gobelin laisse ses genoux retomber au sol, s’assoit sur ses talons, pose une main au sol, tout en tendant l’autre, avec la torche, pour qu’elle la saisisse.

_ Il est, ce soir, votre humble serviteur. Peut-être attendiez-vous preux chevalier, mais malheureusement, il n’y avait que de Gobelin dans les parages. Mais peut-être, est-ce pour le mieux, qu’il y a-t-il de mieux qu’un monstre, pour éloigner les autres monstres ? Il les connaît, il aime autant l’ombre qu’eux, mais ce soir, ses intentions sont différentes. Vous serez sa protégée, jusqu’à ce que le jour se lève et qu’il doive s’en aller. Comment s’appelle-t-elle ? D’ailleurs, est-ce bien elle, lui, ou autre chose ? Gobelin fera ce qu’elle désire, et la nommera comme elle l’exige !

Il courbe l'échine, jusqu'à poser son front contre le sable.

_ Réjouissez vous : car ce soir, vous vivrez. C'est l'aube, d'un nouveau jour ! Il n'y a rien de plus précieux, que ce temps gagné. Car tout, tout peut s'arrêter si vite, mais la Déesse a décidé, que vous comme ce Gobelin, devraient rester sur Terre quelques temps, merci Déesse, merci pour Sa compassion et Son amour ! Gobelin, prendra soin de l'âme qu'elle a sauvée.

Les yeux clignent et un silence accueille le désespoir de la jeune femme.

Gobelin se redresse légèrement. Et ses prunelles suivent, le tracé des gouttes qui traversent les joues, de l'index, il recueille délicatement une larme, qu'il observe longuement sous l'éclat de la torche.

_ L'on dit que le sable du désert, brille de toutes les larmes que les âmes ont versées, murmure l'homme, Pleurez, si vous en ressentez le besoin, débarrassez votre cœur, de tout ce poids.

Murmure-t-il. Son sourire persiste, bien qu'il se soit affaibli ; il n'y a plus grimace. Les yeux vifs, plantés dans les siens, affrontent sans gêne et sans malaise, le malheur qui l'étreint. Car Zeng, connaît la souffrance, qu'il sait, l'entendre et l'écouter, car il sait qu'il s'agit du meilleur moyen, pour l'apaiser.

_ Vous ne m'avez pas fait de mal. Il est normal, d'émettre un jugement sur ce que l'on voit la première fois. Et celleux qui vous prétendent le contraire, mentent !

Sourit-il en dévoilant ses dents aiguisées. La voyant garder la tête baissée, Gobelin bascule par terre. Dos contre le sable, plus bas qu'elle, il lève un regard malicieux vers elle.

_ L'inconnu effraie. Et lorsqu'on a peur, l'on réagit parfois, avec colère, avec rejet, avec mépris… L'on se protège, à sa manière, c'est un réflexe humain.

Et Gobelin joue, sur cela, pour déranger, pour répugner, pour veiller à sa propre sécurité. Il se tord comme un chat se roulant à même le sol, gratte un peu son dos, plante la torche à ses côtés et joint les mains sur son ventre. Croisant les jambes, il lève les yeux vers le ciel.

_ La seule chose de monstrueuse que je vois ici, est la blessure qui vous déchire de l’intérieur. Elle a l'air profonde, et de faire très mal. Comme une très grosse épine, bien plantée, faite de culpabilité et de mépris envers vous-même. La Déesse pardonne. Elle aime, tout ce qui vit sur cette Terre. Elle Sait, que l'erreur est humaine, l'important, est de prendre conscience de ses fautes, les assumer, et les corriger, progressivement, en s’excusant, en rachetant sa faute, en changeant, elle laisse toujours, de nouvelles chances ! C’est à quoi sert à la vie, à avancer !

Gobelin agite paisiblement l'une de ses jambes, en penchant la tête sur le côté, sans réellement s'inquiéter de ses cheveux qui se mêlent au sable.

_ Ne soyez pas si dure envers vous-même, Lannah. Gobelin et la Déesse vous pardonnent, il en est sûr ! Vous avez eu peur et en toute honnêteté, Gobelin a tout fait pour paraître effrayant. Son physique ne lui plaît pas, et ne plaît pas à beaucoup de gens, traits disgracieux, difformité, Gobelin sait en jouer, pour effrayer et déranger !

Gobelin ferme les yeux sans quitter, son sourire sans joie, entrouvre les prunelles, ses propres yeux morts, s'unissent à ceux de Lannah.

_ Je joue sur l'horreur que j'éveille, pour me protéger. Alors ne demandez, ni pardon ni excuses, il est flatteur pour Gobelin de savoir, qu'il a su si bien jouer son rôle ! Merci Lannah !

Il lui sourit et se redresse en position assise.

_ Ne doutez pas, de l’amour de la Déesse Zorya.

Ses mains, s’arrachent de ses manches. Longs doigts osseux, se referment sur les mains à la peau laiteuse, les pouces caressent le derme, il tient précieusement ses mains, en geste de prières. Les yeux luisants, rictus moqueur, il repose son menton pointu, sur leurs jointures.

_ La Déesse, aime tout en ce monde, elle aime, nos erreurs, nos imperfections, nos défauts, elle aime, sans compter et sans juger, Elle voit probablement votre peine, vos pleurs, votre souffrance, vous êtes, votre principal bourreau. Mais je suis sûr, que de là haut, Elle espère qu’un jour, vous trouverez suffisamment d’amour, pour vous pardonner.

Et Gobelin déplie ses bras, les étend jusqu’aux épaules de la jeune femme, l’enlace simplement. Frotte un peu sa tête, de sa paume, dans un geste maternel, jusqu’à la relâcher.

_ Venez, Lannah, prenez la torche, car Gobelin lui, n’a pas besoin de lumière !

D’un geste vif, Gobelin étend son bras, ouvre sa paume, en son sein, une flammèche éclaire à présent sa voie. La lumière, se reflète au fond de ses pupilles vides, éclats lugubres, au sein d’un regard morbide.

_ Ne restez pas dans les ombres, prenez la main du Gobelin, si vous les craignez, il vous protégera !

Il lui offre son autre main, dans un sourire encourageant. Il ne veut pas la laisser ici, à proximité des brigands qu’il a assommés et attachés, puis il commence à faire froid…

Si elle savait.

Le sourire de Gobelin persiste sur ses lèvres, les yeux luisant, d’une malice, d’un feu qui ne doit pas s’éteindre, l’optimise, le besoin de croire, en un monde meilleur, au bon, de l’Humain. Mais au fond de lui, restent des blessures que le temps ne parvient pas à effacer, des plaies sanguinolentes, qui ont peut-être, commencé à s’infecter. Le rejet, le mépris, la destruction, de l’estime, son âme éclatée, difficilement tenue par des convictions, qu’il s’est imposées. Se réfugier, derrière ses mensonges et le ridicule, car le ridicule, ne tue pas, mais les moqueries, la haine et le mépris, eux, assassinent.

Il est, l’une de ces victimes, survivant, non, mort-vivant. Invaincu, par l’acharnement de la stupidité humaine, fraîchement enterré, pour mieux s’arracher de terre, toujours plus vilain, toujours plus horrible, l’humanité, laissée derrière, cachée par ce masque mortuaire, le besoin d’être, ce rôle qu’on lui a imposé, pour sauver le peu qu’il a su préserver.

La santé mentale, en fragile équilibre, se traduit par cette inconstance, les fluctuations de ses émotions capricieuses, le corps tordu, par des impulsions parfois opposées, celles de ressentir et celles de se protéger, celles de mourir et celles de vivre. Tout arrêter, ou continuer encore, un jour de plus, à croire, peut-être, se ment-il, peut-être, se berce-t-il d’illusions, peut-être, est-il dans le déni, incapable de voir la réalité en face, bien qu’elle l’ait frappé plus d’une fois, en plein visage.

Ce monde, ne sera jamais beau, et l’avenir, ne sera jamais meilleur, mais ce qu’il peut faire, c’est tout faire, pour que sa propre vie et celle des autres, soit plus facile à vivre, ce qu’il peut faire, c’est rallumer l’espoir, c’est ce qu’il veut être, en tant que Lanterne, Verte.
Eclat de lumière, dans l’ombre, le vert, pour la renaissance des plantes, après chaque hiver, une nouvelle chance, à saisir, une nouvelle vie, à vivre, car chaque jour, est l’occasion de reprendre ce qui a été commencé, ou de tout détruire, pour mieux repartir.

Quand Lannah saisit ses mains, un rire franchit ses lèvres.

Sons semblables, aux crissements des ongles sur un tableau de craie, les cordes vocales déchirées, par tous ces cris qu’il a poussés, aimerait-elle, ce corps, pour tout ce qu’il lui a infligé ? Mais il n’ose pas la contredire, il n’ose pas lui dire, qu’elle a raison et qu’il est pourtant si difficile, de vivre avec cette tête affreuse et tout ce qu’elle éveille, chez les autres, chez lui. Le sourire revient et il serre ses mains dans les siennes, plisse tendrement les yeux.

_ Oui… C’est ce que je crois. C’est ce pourquoi j’ai créé, les Lanternes Vertes. Pour donner, l’espoir, et guider celleux, dans le noir.

Lorsqu’elle le retient, Gobelin s’accroupit docilement, rapproche ses jambes, il écoute avec attention. L’histoire, d’une amitié sincère, relation, lumineuse, prometteuse, jusqu’à ce que s’abatte, le Mal. La malédiction de Nergal. Son sourire absent, les yeux morts, Gobelin baisse seulement les prunelles vers le sable qu’il caresse, dans lequel, il glisse ses longs doigts. Les referment et laissent les grains défiler, entre ses doigts.

Il a conscience du rejet. Du mal que cela fait. Et lui aussi, sent une petite voix, qui susurre, qu’elle fait bien de pleurer. Qu’elle fait bien de regretter. Mais cette voix, Gobelin l’écrase au fond de ses entrailles, parmi toutes les autres qu’il a déjà tuées, dans ce cimetière où son cœur, pourrit et noircit, corrompu, par l’injustice, par tout ce qu’on lui a craché, au visage, ce qu’il veut s’interdire, de ressentir. Il ne veut pas infliger, les mêmes cicatrices que celles qu’il doit porter.  

_ Il faut, s’excuser. C’est important, de reconnaître sa faute, de faire part, de son regret et de la volonté, de se racheter. La question qui persiste est, quand penseras-tu être, digne d’être à ses côtés ? Quand considéreras-tu, avoir suffisamment payé ? Si tu attends son pardon, pourquoi ne pas le lui demander, mais si tu attends le tien, que te faudra-t-il, pour avoir payé ta dette ?

S’enquit-il, avec une simple curiosité.

Face à son sourire, il sourit à son tour, se lève d’un bond et lève la paume, laisse la lumière, éclairer sa voie. A ses côtés, il marche à dire vrai, sans trop savoir où se diriger, mais veille à l’éloigner des brigands qu’il a attachés.

_ Tu y arriveras. J’en suis persuadé. Ne me remercie pas : tu es celle, qui a décidé d’aller de l’avant, tu es, courageuse, tu es forte, accroche toi, à ce qui te semble important. La route est longue, douloureuse, il y a des obstacles, mais n’oublie jamais l’espoir, que tu as retrouvé ce soir. Il te va bien. Merveilleusement bien.

Gobelin sourit et redresse les yeux.

_ Où sont, les maisons ? A dire vrai, Gobelin n’a pas réellement pris garde à l’endroit où se diriger.

Les lumières de la lanterne et celles de sa main, permettent de mieux voir la traînée de sang, qui souille ses ongles.

Il n’y a pas que celui de leurs ennemis.

Une estafilade légère, tranche le haut de son bras gauche. La blessure, n’est pas grave, mais suffisante pour que le sang noir, dans l’obscurité, imprègne le tissu épais du kimono – le vert, du vêtement, se noircit et la traînée, dégouline jusqu’au bout de sa main qu’il laisse finalement pendre à ses côtés, chassant les quelques gouttes, d’un geste de la main agacé.  

Gobelin marche, d’un pas paisible.

Flamme dans sa main, éclaire sa voie. Les yeux tournés pourtant, vers une obscurité qu’il ne sait plus réellement craindre ; il sourit à la réponse de la jeune femme, lui adresse une œillade, les yeux malicieusement plissés, le sourire qui s’étire, plus long encore, en un rictus glacé.

_ Bien, bien, la petite dame trouve réponse et actions, il est bon, d’utiliser tout le temps gagné, pour l’offrir à des causes pour lesquelles, l’on veut se battre, à des personnes, que l’on veut protéger.

Lorsqu’elle frappe l’air de ses poings, Gobelin fait mine d’éviter dans un rire. Taquin, il fait volte face, ouvre grand les bras, laissant pendre, les pans de son kimono. Créature monstrueuse, aux ailes d’obscurité, faciès déchiré d’un rire provocateur, il tire malicieusement la langue à la jeune femme.

_ Te battras tu ? Contre les cauchemars et toustes celleux qui lui voudront du mal ? Avec ces petits poings que tu agites ?

Il ricane et rabaisse les bras, retenant une grimace, à cause de sa blessure.

_ Tu as la volonté, maintenant il faut trouver, les mots pour vaincre, apprendre, à te défendre, quelqu’un pourra-t-il t’enseigner, le maniement de la lance, du shuriken, de la hache ou de l’épée ? Quoi que !

Gobelin lui adresse un clin d’œil.

_ Un conseil, pour la petite Dame. Il est parfois bien plus efficace, d’offrir de l’amour aux blessé.es, que vaincre celleux, qui leur ont fait du mal. Guérir et panser les plaies, renforcer leur cœur, d’un soutien indéfectible, faire de l’amour, un bouclier indestructible ! Ce sont déjà, de très bonnes choses à faire, pour aider ton amie.

Elle sautille comme un cabri, retrouve l’énergie, de se mouvoir, d’avancer, sur sa destinée. La lanterne se balance docilement, habituée aux caprices de son premier porteur.

Le cri surpris l’invite à reculer son bras, d’un nouveau mouvement, il fait dos à la route, face à elle, la blessure dans son dos, un sourire plus crispé sur les lèvres.

_ Ce n’est rien, ce n’est pas grand-chose, une petite blessure, de rien du tout, assure-t-il.

Il s’étonne qu’elle entre si aisément en contact avec lui, qu’elle l’emmène, jusqu’à sa maison. Une maison. Lorsqu’il en franchit le seuil, les émotions qui le saisissent, le laissent un peu décontenancé. Surprise, nostalgie, envie, les murs protecteurs, un toit salvateur, sa fausse-mère et sa fratrie, depuis combien d’années, combien d’années, ne s’est-il pas dit, je vais rentrer. Pas de maisons, pas de foyer, les routes et les caravanes pour seuls abris, les Lanternes pour seule famille, se demander, quand il sera vieux ou trop blessé, où ira-t-il se réfugier ?

Il ne mourra pas comme sa ma-mie, il mourra sur un champ de bataille ou abandonné dans un fossé, peut-être, aux pieds des arbres qui l’ont vu grandir, sa chair putride nourrira, la forêt à venir.

Odeurs familières bien qu’inconnues, de poussières et d’odeurs personnelles, Gobelin tend naturellement œil et oreille. Craignant d’être chassé d’un coup de balai, son dos se courbe, sa tête s’incline, son corps se voûte, se réfugie dans un coin qu’elle lui a indiqué.

_ Ce n’est rien, ce n’est pas grand-chose, une petite blessure, de rien du tout, répète-t-il d’une voix douce, retroussant lentement, la manche épaisse qui protège ses membres. Sans le vêtement pour les recouvrir, le bras paraît bien maigre et terriblement famélique. La peau étirée, sur les articulations saillantes, l’on devine les roulements des muscles, les vallées et les sommets, de la chair creusée et des veines saillantes, pulsantes de vie, racines pourries. La blessure tranche, sur la peau blafarde.

Sang épais, dégouline en grosses gouttes, s’échappent jusqu’au bout des doigts, entre les pans de ce linceul, bourgeonne chair carmine, d’un feu si sombre, qu’il semble presque éteint. La vue, de ce précieux liquide, s’échapper, lui arrache un vertige. Gobelin ferme un instant les yeux, bascule sa tête contre la pierre, inspire, expire, redresse finalement la tête.

Il sent, son angoisse, et sa main indemne se referme un instant sur son poignet.

_ Doucement, doucement. Tu peux, mouiller le linge et doucement, frotter la plaie. Approche la lanterne, il faut être sûr, qu’il n’y a pas de sable, pas de sable ou d’autres choses, dans la plaie. As-tu, aiguilles et fil ? Il faut, recoudre la peau, comme l’on coud, les jolis vêtements, rapiécer ce qui est déchiré, puis mettre, un joli bandage pour protéger, pour laisser la plaie, cicatriser. Tout va bien se passer, et si c’est trop difficile, ce n’est pas grave, Gobelin peut, s’en occuper ! Gobelin sait se débrouiller !

Assure-t-il dans un grand sourire.

La douleur, ne laisse sur son visage, qu’une tension au niveau des paupières, de ses cernes, davantage creusées, mais ses orteils, sont repliés, ses muscles, sont contractés.

Car Gobelin, n’a jamais eu de soigneur ou de médecin, car combien de fois, ses plaies se sont infectées, car la moindre blessure, est signe de danger.

Elle est si belle.

Ce n’est pas la beauté de son sourire, ce ne sont pas ses pommettes rouges, ses gestes impulsifs, c’est autre chose, que Gobelin voit. C’est cette lumière qu’il aperçoit, au fond de ses prunelles, c’est cette humanité et ses adorables faiblesses, ce sont ses erreurs et sa culpabilité, qui éclosent en quelque chose, de nouveau, une fleur voit le jour, au sein d’un désert, si sec.

La reprise, de l’espoir, d’une vigueur qui ne demandait qu’à s’épanouir, il la voit revivre.

Et Gobelin la contemple paisiblement ; ses yeux mi-clos, sourient, dans un geste d’assentiment. Il appuie doucement ses décisions, sa combativité, d’un geste de la tête, sent ses babines se retrousser et ses yeux s’élèvent vers le ciel, comme pour une prière, envers la Déesse.

_ L’amour est ce qu’il y a de plus fort en ce monde. Car l’amour, écrase les différences, panse les blessures les plus profondes, l’amour, donne des ailes à celleux qui n’osent pas s’envoler, la force d’affronter, tout ce qui peut nous effrayer, tout le monde, en a besoin pour vivre et pourtant, iels sont si peu, si peu à le donner…

Souffle Gobelin, d’une voix faible, presque éteinte, comme par peur, que ses mots n’éteignent cette flamme qui vient tout juste de s’allumer.

_ Souviens toi toujours, de cette force que tu ressens aujourd’hui, ancre toi ce souvenir et ces promesses dans ta mémoire. Et les jours, où ce sera trop difficile, les jours où tu auras envie de baisser les bras, replonge dans ce souvenir, puises-y toute la force dont tu auras besoin, pour te lever et te battre de nouveau. J’ai confiance. En toi et ta force et en la Déesse : si elle t’a donné la force d’aimer ! Alors crois moi, tu sauras vaincre et soigner, bien plus que ne le font un soigneur et un guerrier.

Et ces propres mots, le plongent dans ses pensées.

Avec les années, Gobelin n’est plus aussi sûr d’y croire. Les déceptions, s’accumulent et les injustices, ne cessent de s’abattre. Les inégalités, les trahisons, les guerres qui n’arrêtent pas. N’est-il pas dangereux, d’entretenir l’espoir ?

Non. Il est peut-être pire, de le laisser s’éteindre.

Assis à même le sol, il l’observe et guide ses gestes, d’une voix calme et posée, le sourire aux lèvres n’est qu’une grimace parmi toutes celles qu’il a l’habitude d’afficher. La peur est pourtant bien lovée dans ses entrailles : combien de fois, ses plaies se sont infectées, combien de fois a-t-il eu peur, de perdre un membre, tout ça pour une estafilade qui n’était pas fichue de se soigner.
La voyant s’essuyer le front, il lui tend le verre d’eau qu’elle vient de lui apporter.

_ Prends quelques gorgées, ça va te revigorer !

Encourage-t-il. De l’eau fraiche, après toute cette course et cette sueur dépensée, elle a besoin de s’hydrater. Lui-même, après, boit une gorgée et la laisse infuser ses papilles desséchées, il déglutit et manque d’avaler de travers, quand l’aiguille perce la peau. La grimace est franche cette fois, mais Gobelin repose sa tête en arrière et s’efforce de relâcher ses muscles.

_ Tout va bien, ne t’inquiète pas…

Murmure-t-il pour eux deux. Entrouvrant une paupière, un rire nerveux franchit ses lèvres, il secoue légèrement la tête.

_ Ne sois pas désolée. Ce n’est pas de ta faute. Ce sont eux, les bandits, ce sont eux, qui voulaient faire du mal. Quand l’acier sort, de son fourreau, c’est bien souvent pour se nourrir de sang : que ce soit le tien, le mien, celui d’un autre ou du bétail… Tu n’as pas à te sentir coupable. Tu n’es pas celle qui a utilisé cette arme contre moi : tu es celle qui me soigne, qui corrige… le mal qu’ils m’ont fait… Tu soignes, Gobelin, tu l’aides, et tu as eu la force, de le conduire jusqu’ici, de nettoyer, la vilaine plaie, de t’en occuper…  Ne porte pas, le fardeau de leurs responsabilités…

De sa main libre, il caresse prudemment sa chevelure, dans un geste paternel.

_ Woaw ! Bravo ! Pour une première fois, tu t’en es très bien sortie !

Félicite-t-il en effleurant le bandage qui recouvre sa blessure.

_ Ca va déjà mieux…

Sans son sang, qui ne coule de partout. Son vêtement est déjà souillé, et peut-être que quelques tâches se sont étirées au sol, sous eux. La voyant défaillir, Gobelin cligne des paupières ; ses bras se sont déjà tendus, le blessé freiné dans son geste, l’indemne parvient à saisir les doigts de la jeune femme avant de la relâcher lorsqu’elle porte la main à son front.

_ … Fais de beaux rêves, petite flamme.

Gobelin sourit faiblement en la voyant s’endormir. Il aurait voulu la porter jusqu’au lit… Mais sa force lui fait à présent défaut. Gobelin se redresse et s’avance prudemment dans la pénombre. S’éclairant de sa lanterne, il étudie l’intérieur de la maison, récupère sous son bras, oreillers et draps, revient près de la jeune femme. D’une main doucement glissée dans ses cheveux, entourant ses épaules de son autre bras, retenant un gémissement de douleur, il l’allonge délicatement au sol. Place l’oreiller sous sa tête, la recouvre du drap, reste un instant à la détailler, sous la lumière de la lanterne qu’il vient de récupérer.

_ Que la Déesse, veille à ce que ta lumière ne s’éteigne jamais.

Murmure Gobelin. Récupérant un chiffon, il nettoie le sol et les traces qu’il a laissées, repose le tissu au bord d’une bassine emplie d’eau souillée. Son corps tremble, mais la douleur est supportable, la perte de sang, n’a pas été trop importante.

Autrefois, il ne ressentait aucune gêne à se glisser par les portes ou les fenêtres, se faufiler dans des lits qui n’étaient pas le sien, à l’abri dans des pièces délaissées pour la nuit, sous une table ou dans un fauteuil, pelotonné dans l’obscurité. Sa présence, intruse, toujours chassée à la levée de l’aube.

Et aujourd’hui, alors qu’il a été invité, il n’ose pas rester.

Ne souhaitant pas abuser, de la gentillesse, craignant de voir son regard changer, une fois l’euphorie et la nuit passées, d’être accusé, de maux auxquels il ne veut pas même penser, Gobelin ne se sent pas en droit, de rester entre ces murs. Il referme la porte derrière lui, sans un bruit et disparaît, au plus profond de la nuit.

Ne laissant près de la jeune femme, qu’un pan de tissu vert.

Couturière, peut-être qu’elle placera ce simple carré, quelque part : en souvenir, de leur rencontre, en souvenir, des promesses qu’elle a faites cette nuit là.

Que lorsqu’elle doutera, cette couleur, lui rappelle l’espoir.